Au micro de la radio FM Liberté, le représentant de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) auprès de la CEMAC, Dobian Assingar, justifie sa mise en retrait de la lutte pour les droits humains qu’il a embrassée depuis plus de trente ans.
1/Après plus de trente ans à défendre les droits humains, nous avons appris votre décision de vous retirer de la société civile. Pourquoi ?
Vous aviez dit trente ans, ce n’est pas trente jours. Ça fait quand même 32 ans que je lutte. Quand je suis rentré de la France, en 1991, j’ai atterri directement sur le terrain des droits de l’Homme. C’est là que je disais que je peux servir la société tchadienne, servir mes concitoyens. Et je l’ai fait avec un coup de cœur. Et je pense que j’ai rempli mon rôle.
32 ans, c’est suffisant pour se reposer un peu. J’ai à maintes reprises contribué à l’alternance associative. En quittant après deux mandats la présidence de la LTDH, la radio FM Liberté, la vice-présidence de la FIDH. Je reste dans la logique de tout ce que j’ai fait.
32 ans après, c’est normal qu’il y ait une autre génération qui prenne la relève. Nous avons rempli notre mission. Il appartient au peuple tchadien de la juger. Mais, je reste militant parce que le militantisme m’a touché le cœur. Sauf que je n’ai pas de responsabilité à assumer. Je n’ai plus un rôle politique.
2/ Est-ce dire que vous n’êtes plus le représentant de la FIDH ?
J’ai refusé. J’ai dit qu’il fallait que je me repose entièrement mais la Fédération m’a dit qu’on a encore besoin de vous. Qu’on va vous nommer chargé de mission. Vous n’aurez pas un rôle politique. Vous aurez un rôle de surveillance et de suivi de la situation générale des droits de l’Homme au Tchad et en RCA ; effectuer des missions pour faire des rapports ; fournir dans la mesure du possible un appui technique aux institutions étatiques dans le domaine des droits de l’Homme. Vous voyez bien que mon rôle n’est plus politique. C’est un rôle de surveillance, de documentation et d’appui technique. Je ne serai pas là en train de crier comme un forcené quand les droits de l’Homme sont massivement violés. Je pense que d’autres prendront le relais pour le faire.
3/ Cette décision qui intervient au moment où la société civile a plus besoin de leaders comme vous pour mener à bien la lutte pour la défense des droits de l’Homme dans un pays qui est à la croisée des chemins, n’est-elle pas une lâcheté ?
Je ne sais si la société civile a vraiment besoin des leaders comme nous autres. Je pense que même dans cette société, des gens pour lesquels nous luttons, nous combattent. Est-ce que vous pouvez comprendre ? Quand vous avez dans votre propre camp des ennemis, que vous défendez mais qui se retournent contre vous. Il vaut mieux les laisser dans leur situation.
S’il y en a qui ont l’âme esclave, ils n’ont qu’à le rester. Cela veut dire qu’ils n’ont pas besoin d’être défendus. La société civile trouvera toujours des leaders qui vont se lever pour jouer ce rôle. A 65 ans, j’ai estimé que c’est l’âge de la retraite. Je ne veux plus me défoncer parce que ma santé aussi est fragile. Ce n’est pas de la trahison.
4/ Depuis quelques années, la défense des droits humains semble changer de donne. Des leaders sont beaucoup plus intéressés par la recherche de l’argent au détriment de la défense des droits de l’Homme. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Ce que vous dites est vrai. C’est vraiment décourageant. Je vais vous faire une confidence. J’ai été approché trois fois pour être ministre, j’ai refusé. En 2011, on m’a demandé de remplacer mon cousin Emmanuel Nadingar, qui était Premier ministre. J’ai dit que ce n’est pas mon job. J’ai dit que je suis trop franc pour faire de la politique. Je ne ressemble pas à un politicien. Je ne cours pas derrière l’argent. Je pouvais le faire. Avoir beaucoup de moyens, de grosses voitures comme les autres. Pourquoi je ne le fais pas? Parce que ça me ressemble pas.
Malheureusement, c’est ce qui se passe. Mais, tout le monde ne se ressemble pas. Je ne ressemble pas à ces gens. Il y en a qui ont choisi de faire le demi droits de l’Homme. On mélange les droits de l’Homme avec la politique, avec l’argent, avec beaucoup de choses. Il faut dire, comme vous l’aviez constaté, que la lutte pour les droits de l’Homme, c’est essoufflant. Je dirais que ça n’existe même pas en ce moment. Quand il y a des grands événements qui se passent aujourd’hui dans le pays, où il y a des violations massives des droits de l’Homme, vous écoutez qui ? Personne ne veut parler. Alors que nous nous disons des défenseurs des droits de l’Homme. Si vous vous engagez pour quelque chose d’aussi noble pour les humains, restez-y. Mais, il ne faut pas les travestir.
5/Comment faire pour amener la société civile tchadienne à revenir sur son objectif initial, qui est la défense des droits humains, au détriment de l’argent ou des biens matériels ?
Il faut une autre génération de défenseurs des droits humains. Une personne qui est corrompue, comment elle va faire pour se relever ? Parce que ce sont les biens matériels qui comptent pour les gens. Il faut renouveler cette classe de défenseurs des droits humains avec des personnes qui ont de nouvelles idées. Comme en politique aussi.
Entretien réalisé par FM Liberté