Depuis quelques semaines, le projet de modification de la Constitution ou d’adoption d’une nouvelle Constitution en République démocratique du Congo (RDC) suscite un débat houleux. D’un côté, les partisans du « Oui » soutiennent qu’une révision constitutionnelle est nécessaire pour adapter le pays aux nouveaux défis politiques et institutionnels. De l’autre, le camp du « Non » y voit une tentative déguisée du président Félix Tshisekedi d’ouvrir la voie à un troisième mandat, un mal chronique qui gangrène de nombreuses démocraties africaines.
Les partisans du projet, principalement issus de la majorité présidentielle, avancent des arguments séduisants. Selon eux, une nouvelle Constitution renforcerait la gouvernance, améliorerait l’efficacité des institutions et offrirait un cadre plus adapté à la vision de développement prônée par Félix Tshisekedi. Ils insistent sur la nécessité de moderniser les textes fondamentaux pour accélérer le processus de démocratisation et répondre aux attentes de la population. Car pour eux, l’actuelle loi fondamentale, issue d’un accord politique entre différentes tendances, livrerait la RDC aux étrangers.
En rappel, la Constitution actuelle fait suite aux accords de paix de 2002 en Afrique du Sud qui ont permis de mettre fin à la deuxième guerre du Congo (1998-2003). Des accords signés entre différentes parties (le gouvernement de Kinshasa, les rebellions du RCD soutenu par le Rwanda et du MLC par l’Ouganda; et la société civile) qui ont permis de mettre en place un gouvernement de transition impliquant les factions belligérantes, le retrait progressif des troupes étrangères. La Constitution adoptée en 2006 a permis d’organiser les premières élections démocratiques en 2006.
Cependant, les sceptiques, composés d’opposants, d’organisations de la société civile, de la puissante église catholique congolaise représentée par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et d’une partie de la communauté internationale, dénoncent un stratagème politique. Ils rappellent que ce projet arrive en cours du deuxième et normalement dernier mandat du chef de l’Etat, et qu’il s’inscrit dans une longue tradition africaine où les réformes constitutionnelles servent avant tout à pérenniser un pouvoir en place. Ils redoutent une dérive autocratique, soulignant que l’urgence pour le pays n’est pas une nouvelle Constitution, mais des solutions concrètes aux problèmes criants que sont l’insécurité chronique à l’est, la pauvreté endémique et le faible classement de la RDC dans l’Indice de Développement Humain (IDH), le pays étant actuellement 179ème sur 191.
Le spectre du troisième mandat : un virus tenace en Afrique
L’idée d’un troisième mandat, bien que non confirmée officiellement, hante les débats en RDC. Ce scénario n’est pas inédit en Afrique. Dans les pays francophones, plusieurs dirigeants ont réussi à modifier leur Constitution pour se maintenir au pouvoir. Paul Biya au Cameroun, Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, le défunt Idriss Déby Itno au Tchad, Alassane Dramane Ouattara en Côte d’Ivoire, etc. Alpha Condé en Guinée avait également triomphé dans un premier temps, avant d’être renversé par un coup d’État.
Cependant, d’autres tentatives ont échoué. En 2014, Blaise Compaoré au Burkina Faso avait été contraint de fuir sous la pression populaire après avoir voulu s’accrocher au pouvoir. En 2010, un putsch avait également emporté Mamadou Tandja qui voulait s’accrocher à la tête du Niger. Abdoulaye Wade, lui, a été balayé par un vote sanction en 2012 au Sénégal au profit de son ancien Premier ministre Macky Sall. Ces exemples démontrent que l’obsession du troisième mandat est un jeu à haut risque, souvent joué aux dépens de la stabilité des nations.
L’urgence : répondre aux attentes du peuple
Loin des considérations constitutionnelles, la priorité pour la RDC devrait être de s’attaquer aux véritables défis qui minent le quotidien des Congolais. À l’est du pays, l’insécurité causée par les groupes armés continue de semer la désolation. Des millions de personnes vivent dans la peur et l’incertitude. Sur le plan économique, la pauvreté frappe durement la population, et la RDC reste l’un des pays les moins bien classés au monde en termes d’IDH. Ces problématiques exigent des réponses immédiates, structurées et durables.
Investir dans la sécurité, promouvoir une économie inclusive et rehausser les indicateurs sociaux seraient des mesures plus urgentes que de réécrire une Constitution. Le peuple congolais attend des solutions à ses problèmes existentiels, et non des manœuvres politiques qui risquent de polariser davantage le pays.
La RDC à la croisée des chemins
Le débat sur la modification constitutionnelle en RDC dépasse la simple question institutionnelle. Il met en lumière les tensions entre les aspirations démocratiques d’une population et les ambitions d’un pouvoir en quête de longévité. Félix Tshisekedi, qui avait promis un renouveau démocratique, doit se rappeler que la légitimité d’un dirigeant réside dans sa capacité à répondre aux besoins de son peuple, et non dans la manipulation des textes fondamentaux. Son arrivée au pouvoir est sans doute le fruit de la longue lutte pour la démocratie et l’alternance menée par son feu père, Etienne Tshisekedi. Il a aussi vu comment le peuple s’est opposé au projet de confiscation du pouvoir par Jospeh Kabila, lui ouvrant les portes du «Palais de la Nation». En outre, celui qui a été désigné par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) comme facilitateur de la transition tchadienne devrait plutôt montrer l’exemple et non pousser son pays dans l’abîme. Car son projet risque sans doute de cristalliser les tensions. En effet, face à lui, se dressent l’opposition menée notamment par Moïse Katumbi, Martin Fayulu et d’autres figures; la société civile avec comme figures de proue la Lucha et Filimbi ainsi que la puissante Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO).
L’histoire récente de l’Afrique francophone est un rappel poignant : les dirigeants qui privilégient leurs intérêts personnels au détriment de leur peuple finissent souvent par le payer cher. La RDC mérite mieux qu’un débat stérile sur un troisième mandat. Elle mérite des dirigeants qui placent le développement et la dignité de ses citoyens au cœur de leurs préoccupations. La balle est dans le camp de Félix Tshisekedi.