24 heures après le coup d’Etat en Guinée, le politologue Ahmat Mahamat Hassan analyse la situation. Il revient sur les mobiles de cette crise, et la dévolution du pouvoir en Afrique.

Quelle analyse faites-vous de la situation en Guinée ?

J’exprime toute ma désolation pour l’Afrique, et pour le peuple de Guinée longtemps meurtri par un pouvoir autoritariste de Sékou Touré, Alpha Condé. Ils étaient comptés parmi les vétérans de lutte contre la dictature en Afrique francophone en général. Le professeur Alpha Condé en a profité pour devenir un vétéran. Quand il y a eu l’alternance et les élections, il avait été élu légalement. Maintenant, la constitution limite le mandat. Et cette limitation il l’avait accepté, mais après il a fait modifier la constitution pour continuer à conserver la légalité de son pouvoir. La légalité seule ne suffit pas s’il n’y a pas la légitimité en matière de pouvoir public. La légitimité est prioritaire et primordiale. Et il n’a pas la légitimité en modifiant la constitution sans la volonté du peuple guinéen. Et cela a donné justement la légitimité de la violence. Et l’armée en a profité pour le renverser par un coup d’Etat. C’est dommage pour l’Afrique. Tous nos problèmes, c’est la conservation du pouvoir. Le refus de l’alternance démocratique.

Comment comprendre la position de la communauté internationale qui est conciliante avec les uns, et condamne les autres ?

Le problème de la communauté internationale est la recherche de la légalité et de la légitimité comme je l’évoquais tout à l’heure. La communauté internationale se base sur des principes. Le coup d’Etat ou de violence dans les Etats entraine une condamnation systématique par la communauté internationale. Mais elle est entrée dans la logique de la realpolitik pour essayer de voir cas par cas. Quand il y a eu coup d’Etat au Mali, la communauté internationale a condamné. Mais quand il a eu la situation au Tchad, on avait dit que ce n’était pas un coup d’Etat, c’était l’assassinat d’un chef d’Etat. On a changé de langage. Il y a eu tantôt de condamnation, tantôt pas de condamnation. Il y eu un accompagnement comme la position de l’Union africaine. Et cette situation fait que la communauté internationale entre dans une logique arbitraire. Parce qu’en jugeant cas par cas, elle viole ses propres principes. Et les règles ne sont pas appliquées. Aujourd’hui, il y a eu un cas en Guinée, c’est la même chose. On dit qu’il y a eu coup d’Etat en Guinée. Pourtant, c’est la même communauté internationale qui a condamné la légitimité d’Alpha Condé quand il avait modifié la constitution. C’est un problème où la dévolution du pouvoir en Afrique ne peut pas se limiter à la communauté internationale. Il faut une prise en compte réelle de l’approche des Etats et de la realpolitik africaine pour la construction des Etats de droit.

Comment expliquer ce regain de coups d’Etat alors qu’on pensait qu’ils étaient révolus ?

C’est une question primordiale pour toute l’Afrique. L’Afrique a connu la période des coups d’Etat vers les années 1970 et 1980. Ce sont des cas qu’on ne peut même pas compter. On avait cru qu’avec l’entrée de la démocratie, l’Afrique est sortie de la dévolution du pouvoir par la violence, où le peuple décide de la dévolution du pouvoir. La plupart des Etats d’expression française sont dans la logique de dévolution du pouvoir par la violence. Et c’est dommage. Aujourd’hui, heureusement pour nous il y a quelques symboles comme le Sénégal et le Bénin.

La démocratie est-elle un échec en Afrique ?

Ce n’est pas un échec de la démocratie en Afrique. L’échec serait si on avait abandonné le mécanisme des Etats de droit et la construction de la République pour opter pour la monarchie. Il n’y a pas eu de proclamation de la monarchie en ce que je comprenne. Tout le monde réclame la démocratie. Même ceux qui ont fait le coup d’Etat disent que c’est parce qu’aujourd’hui Alpha Condé a refusé l’alternance. Cette alternance qui lui a permis d’être au pouvoir, mais il l’a refusé pour conserver le pouvoir. Et cela légitime la violence. En Afrique, nous sommes dans nos ethnies, clans, régionalisme, tribalisme. Nous revendiquons plutôt l’identité que la citoyenneté. Et la base de la démocratie c’est la citoyenneté. Toute la problématique est à ce niveau.

Que faire pour éviter les coups d’Etat en Afrique ?

Tous ceux qui ont en ce moment le pouvoir par quelques moyens que ce soit, par la violence ou par les élections dites démocratiques, la problématique reste la gestion. Il ne faut pas faire des mécontentements généraux. Et quand cela prend de l’ampleur, ça oblige les gens à réagir. Et cette réaction par la violence dans la rue, et vous tombez dans le piège de la répression. Soit dans un coup d’Etat, soit de rébellion. Et vous légitimez la violence contre vous-même. Nous devons y réfléchir.