Dr Idriss Ahamadaye Al-hassan, médecin généraliste à l’hôpital provincial de Mongo et observateur averti de la situation de la crise sanitaire, nous livre ses impressions par rapport à la gestion de la pandémie.

On constate que la plupart des patients atteints de la Covid-19  pris en charge à l’hôpital la Renaissance meurent de suite de cette maladie. Qu’est ce qui explique cela ?

J’aimerais tout d’abord rendre un hommage solennel à tous mes collègues médecins exerçant dans les hôpitaux nationaux et provinciaux et qui se battent jours et nuits pour sauver des vies, malgré toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés et quelques insuffisances dans la prise en charge de patients atteints de la Covid-19.  

Il y a plusieurs facteurs qui pourraient expliquer tous ces décès au sein de cet hôpital.

Avant tout, c’est le retard accusé par les patients eux-mêmes. C’est-à- dire qu’ils présentent des signes de la Covid-19 (Fièvre, Céphalées, Arthralgies) en l’assimilant à un paludisme simple et instituent ainsi un traitement antipaludéens mais sans amélioration de la symptomatologie. Et c’est lorsque le système respiratoire est atteint et que la gêne respiratoire s’installe qu’ils sont contraints d’être reconduits aux services des urgences afin de les assister par oxygénothérapie.

Une mauvaise prise en charge due certainement à une insuffisance en ressources humaines étant donné qu’au départ, l’hôpital n’a pas été  préparé à faire face à la gestion de cette pandémie. L’hôpital de Farcha était pris pour référence, l’on se retrouve contraint à envoyer les patients à la Renaissance pour pouvoir les faire bénéficier d’un scanner thoracique afin de poser le diagnostic de façon formelle. Je précise une fois de plus, la Renaissance est la seule structure de la place à pouvoir réaliser le scanner thoracique et partout au monde c’est le scanner qui est la clé pour poser le diagnostic. Car, avec les tests RT-PCR la spécificité du test ( détecter la maladie que l’on veut détecter) est excellente, la sensibilité par ailleurs ( ne pas avoir de diagnostic erroné : faux positifs/faux négatifs) est encore très faible. Des patients sont négatifs aux tests alors qu’ils souffrent de syndrome respiratoire aiguë dû à l’infection au SARS-CoV-2 et ça j’en ai la preuve.

Il n’y a pas plus de 5 médecins répartis en deux groupes et 10 infirmières pour gérer en moyennes 30 patients qui arrivent aux urgences. La plupart d’entre eux arrivent en état de détresse respiratoire sévère à laquelle s’ajoutent des pathologies sous-jacentes (HTA, Diabète, Cardiopathies, Asthme, etc.). C’est une mission impossible d’où la nécessité de renforcer davantage cet effectif. Pour être simpliste et ne pas être pessimiste, avec cette insuffisance en ressources humaines on ne pourra jamais avoir une surveillance rigoureuse et minutieuse de patients. Il y’a le problème d’oxygène que j’avais déjà évoqué dans mon récent article que je m’appesantirai pas là-dessus.

Il y a un problème organisationnel que j’avais déjà soulevé par la même occasion et ceci est dû au fait que l’hôpital n’a pas été préparé dès le début à gérer ces patients atteints de la Covid-19. Maintenant pour pallier à cela, il faudra s’organiser à nouveau et avoir une meilleure approche afin de gérer cette pandémie.

S’agissant de l’hôpital de Farcha à laquelle les autorités aiment toujours faire référence, quelle est réellement la capacité d’accueil de cette structure ? 

L’hôpital de Farcha en question n’a pas plus de 100 lits d’hospitalisation. Il y a quelques conteneurs transformés en salle d’hospitalisation pour la prise en charge. Mais malheureusement, il n’y a pas d’oxygène et pour tout cas se retrouvant en détresse respiratoire sévère on le réfère à nouveau à la renaissance pour une oxygénothérapie.

Au-delà du manque d’équipements de protection individuels, y-a-t-il d’autres problèmes auxquels font face le personnel soignant ?

Il y’a un manque cruel en équipements de protection du côté du personnel soignant ainsi que des patients. Il arrive de moments où les anciens cas hospitalisés sont mis à côté de nouveaux cas diagnostiqués dans une même salle. Il y a une forte probabilité que les anciens cas se réinfectent à nouveau.

Selon vous qu’est-ce qui manque à l’Etat tchadien pour faire à cette pandémie ?

Il manque relativement deux grandes choses:

  • Volonté politique afin d’éradiquer cette pandémie dans nos contrées
  • Un problème organisationnel

Je prends pour référence le Sénégal en Afrique, pays avec lequel on partage les mêmes réalités. Avec la détermination, le savoir-faire et la volonté politique, ils arrivent à gérer efficacement cette pandémie et les chiffres  parlent d’eux-mêmes. Le dernier communiqué en date du 18 mai montre 2 544 cas déclarés positifs, 1 076 guéris, 26 décédés et donc 1 141 sous traitement, avec seulement 11 cas graves pris en charge au service de la réanimation. Je crois qu’il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce pays gère avec efficacité et détermination cette crise. Nos autorités peuvent bien s’inspirer et il n’y aucune honte d’ailleurs. La véritable honte c’est de s’entêter à dire que tout va mieux et qu’au final, on risque tous d’y passer. Qu’Allah nous en préserve.

En tant que médecin et observateur averti de la situation, quelles proposition faites-vous au Comité national de gestion de la crise sanitaire ?

J’avais déjà énuméré quelques recommandations réalistes, justes et faisables à l’endroit de ce nouveau comité de gestion de la crise sanitaire à savoir:

  • Renforcer le nombre de personnels soignants à l’hôpital de la Renaissance et l’hôpital de Farcha étant donné qu’ils deviennent les deux centres de référence dans cette prise en charge ;
  • Munir tous les personnels soignants en équipements de protection individuels ;
  • Équiper nos hôpitaux en oxygène et en machines d’intubation avec une respiration artificielle pour certains cas de SDRA ;
  • Constituer des tentes dans un stade de la place avec de lits et d’oxygène afin d’avoir une prise en charge globale et intégrale ;
  • Former davantage les personnels soignants dans la gestion de cette crise ;
  • Mettre au-devant de la scène dans cette lutte les spécialistes concernés (infectiologues, virologues, pneumologues, anesthésistes réanimateurs, spécialistes en santé publique) ;
  • Primer tous ces personnels dans la gestion de cette crise afin d’avoir de résultats escomptés.