Depuis quelques années, certaines communes de la zone méridionale du Tchad signent des contrats d’affermage avec des entreprises qui prélèvent des taxes très élevées. Le cas de la ville de Moundou est illustratif. Malgré plusieurs rappels à l’ordre, cette pratique se poursuit de plus belle.

Le 3 juin dernier, le maire intérimaire de la commune de Moundou, Nediao Djingambaye lance un avis d’appel d’offres national pour « la prestation de l’affermage des arachides, haricot, tourteaux, graines de courge, graines de coton, déchets de fer, fût d’huile et les peaux pour la ville de Moundou ». Les candidats intéressés avaient jusqu’au 9 juillet pour soumissionner.

Pourtant, le 31 mai dernier, ce même maire ainsi que le trésorier provincial du Logone Occidental, Bouboul Ouaïdou et le délégué des finances de ladite province, Bourei Mahamat Adoum, ont signé avec trois responsables de l’Inspection générale d’Etat (IGE) un procès-verbal d’audition à la suite d’un contrat d’affermage du sésame signé en mars 2020 puis renouvelé pour un an en mars 2021 avec l’entreprise MHM/Dione et fils qui prélève une taxe de 2.000 FCFA par sac de sésame. Lors de cette audition, l’IGE a relevé qu’une telle taxe n’a pas de fondement juridique, que le contrat concédé à un particulier n’a pas sa raison d’être. Ainsi, il a été décidé qu’à l’expiration de ce contrat (qui court d’avril 2021 pour douze mois) :

  • Qu’il ne soit pas renouvelé ;
  • Que la mairie reprenne en main la collecte de la taxe communale ;
  •   Que le Conseil municipal revoie en baisse cette taxe ;
  • Que la taxe communale soit bancarisée pour éviter la déperdition des recettes publiques.

Il est également demandé à la mairie de faire la situation et produire les justificatifs du loyer de 626.000.000 FCFA versé par le groupe MHM/Dione et fils au titre du contrat d’affermage de 2020.

Cette audition fait suite à une correspondance de l’IGE le 21 janvier 2021 adressée au gouverneur du Logone Occidental avec pour objet : « Résiliation des contrats d’affermage et de partenariat. En effet, pour l’Inspection générale d’Etat, tous les maux que vit la ville de Moundou ont pour origine :

  • Les contrats d’affermage ;
  • Les marchés de travaux fictifs signés unilatéralement par les différents maires qui se sont succédé ;
  • L’inutilisation des collecteurs ;
  • L’implication et l’intervention de presque tous les responsables administratifs, militaires directement ou indirectement dans la gestion de la commune de Moundou.

C’est pourquoi, l’IGE a demandé « la résiliation immédiate de tous les contrats relatifs à la collecte des recettes de la commune par des particuliers » et a prévenu que « Tout responsable qui prendra le risque de signer des contrats d’affermage, de partenariat sera poursuivi en justice ».

Il faut rappeler que dès mars 2018, le Premier ministre de l’époque, informé par l’Agence nationale des investissements et des exportations (ANIE) « d’une nouvelle taxe communale prélevée par les communes de Moundou, Doba, Koumra et Sarh par sac de 100 kg sur les produits d’exportation (sésame, gomme arabique, spiruline, karité, etc.), à hauteur de 2 000 FCFA par sac de sésame et 400 FCFA par sac d’arachides et de tourteaux, en lieu et place de la taxe communale dite “droits de place” de 200 FCFA par sac » a instruit les ministres en charge de l’Administration du territoire, du Commerce et des Finances de « prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser la pratique de toute taxe illégalement prélevée ».

A la suite de ces instructions du chef du gouvernement, le 10 avril 2018, le ministre des Mines, du Développement industriel, commercial et de la Promotion du Secteur privé, qualifiant ces impositions de « totalement illégales au regard des textes en vigueur » rappelle à toutes les institutions de l’Etat et à l’ensemble des services et usagers que « l’exportation de tout produit agricole brut est exonérée de toutes taxes et impôts de toute nature à l’exception de la redevance statistique de 2% ».

Nous avons tenté d’avoir la version du maire intérimaire de la ville de Moundou, Nediao Djingambaye mais sans succès. Joint par téléphone le vendredi 9 juillet, il a dit être en réunion. Relancé le samedi 10 juillet, le maire a indiqué être à une place mortuaire et a promis nous rappeler dès que possible. L’ayant attendu en vain, nous avons essayé de le rappeler plusieurs fois ce mardi 13 juillet mais son téléphone est éteint.  

Un commerçant poursuit l’Etat

Malgré tous ces rappels à l’ordre, les contrats d’affermage continuent à être signés avec leur corollaire de taxe élevée.

C’est ainsi que le commerçant Mahamat Noussour Ismail, a requis les services de l’étude de l’huissier Djounfoune Golbassia Félix qui a constaté des reçus attestant les paiements des taxes à différentes entreprises, soit un montant de 303.075.250 FCFA à la date du 22 mars 2021 et en a dressé procès-verbal.

Par l’entremise de ce même huissier, Mahamat Noussour Ismail a assigné l’Etat tchadien en justice pour le remboursement de la somme de 303.075.250 FCFA à titre principal et 5.000.000.000 FCFA à titre des dommages et intérêts.  

Mahamat Noussour Ismail nous explique que l’Etat n’était pas représenté à l’audience de conciliation du 11 juin et que le juge a envoyé le dossier à l’audience publique. Mais, précise-t-il, la date n’a pas encore été fixée à cause de la grève des magistrats.