Le système de santé tchadien, déjà fragilisé par des défis structurels et des moyens insuffisants, fait face à un nouveau péril : la formation au rabais des professionnels de santé. Dans un pays où la qualité des soins est une question de vie ou de mort, la prolifération d’instituts privés plus motivés par le profit que par l’excellence pédagogique menace directement la santé publique.

Ces dernières années, le Tchad a vu fleurir des instituts de formation privés dans le domaine de la santé. Ils proposent des formations pour des infirmiers diplômés d’État, des sages-femmes, des laborantins, et d’autres techniciens médicaux essentiels. Mais derrière la vitrine prometteuse, la réalité est alarmante : des infrastructures inadéquates, un personnel enseignant insuffisamment qualifié et un programme souvent bâclé.

Pour beaucoup de ces établissements, l’objectif est clair : maximiser les inscriptions et les recettes, sans se soucier de la qualité des compétences des diplômés. La conséquence est tragique : des professionnels mal formés, envoyés sur le terrain, où leur manque de savoir-faire peut aggraver la situation des patients au lieu de l’améliorer. “C’est grave ce qui se passe dans les instituts de formation en santé. Comment un titulaire d’une licence peut-il dispenser les cours dans un institut ? “, s’interroge un enseignant qui intervient dans un établissement de formation en santé.

Des conséquences directes sur la santé des populations

La qualité des soins dispensés par ces agents de santé insuffisamment formés est préoccupante. Lorsqu’un infirmier ne sait pas administrer correctement un médicament, lorsqu’une sage-femme échoue à gérer une complication lors d’un accouchement ou lorsqu’un laborantin délivre des résultats erronés, ce sont des vies qui sont mises en danger. «Un jour, j’ai amené mon enfant malade à l’hôpital. Sans même l’examiner, l’infirmière me gronde sous le prétexte que j’ai mal pris soin de ma fille et qu’elle souffre de malnutrition. Elle m’a indiqué des nutriments à lui donner. Mais l’état de mon enfant continuait à s’aggraver et j’ai dû repartir à l’hôpital. Après examen, il se trouve que l’enfant souffrait d’une anémie sévère. C’est comme cela qu’à cause d’une infirmière incompétente, j’ai failli perdre ma fille», se remémore une dame. Un témoignage qui est symptomatique du désordre qui s’installe dans le domaine de la santé au Tchad ces derniers temps.

En effet, dans un contexte où les services de santé sont déjà sous pression, le recours à des professionnels mal préparés amplifie les défis. Dans les zones rurales, où ces agents représentent souvent la seule option disponible, les conséquences sont encore plus graves : infections mal soignées, erreurs médicales fatales, et confiance réduite dans le système de santé.

Un problème systémique alimenté par l’absence de contrôle

Ce phénomène est exacerbé par l’absence de régulation stricte. Beaucoup d’instituts fonctionnent avec des autorisations délivrées sans réelle évaluation de leurs capacités. Les inspections sont rares, et les sanctions en cas de manquement sont quasiment inexistantes.

Certes, l’Etat a instauré un concours de certification des diplômes mais ce contrôle en fin de cycle ne peut résoudre le problème. Car même un apprenant médiocre peut, selon diverses circonstances, être reçu à un concours. Cette situation crée un cercle vicieux où la médiocrité se normalise, au détriment de l’ensemble du système de santé. Aujourd’hui, tous les «ratés» s’orientent vers les instituts de formation en santé où le paiement total des frais de scolarité est la garantie de passer systématiquement au niveau supérieur et, in fine, d’obtenir son diplôme. C’est dire les risques auxquels s’exposent les patients en se faisant soigner par de tels agents de santé.

Un appel urgent à l’action : réguler et professionnaliser la formation

Face à ce danger imminent, des mesures immédiates et structurelles s’imposent à l’Etat tchadien, notamment renforcer la réglementation concernant la création et le fonctionnement des instituts privés de formation en santé, mener des inspections régulières pour s’assurer de leur conformité, fermer les établissements défaillants, améliorer la formation des formateurs, investir conséquemment dans les établissements publics de formation en santé, recruter les médecins, infirmiers, sages-femmes, laborantins et autres agents formés par la faculté de médecine (environ 400 médecins haussent le ton régulièrement pour revendiquer leur intégration à la Fonction publique) mais aussi l’Ecole nationale des agents sanitaires et sociaux (ENASS).

Le Tchad se trouve à un tournant critique. Si rien n’est fait pour endiguer la prolifération des formations au rabais dans le domaine de la santé, le pays court le risque de voir son système de santé s’effondrer. Mais avec une volonté politique ferme, des réformes bien pensées et une mobilisation de toutes les parties prenantes, il est possible de redresser la barre.

Car au-delà des infrastructures et des ressources, ce sont les femmes et les hommes qui portent le système de santé. Leur formation et leur compétence sont les piliers sur lesquels repose la santé de toute une nation.