SOCIÉTÉ – La hausse du prix des boissons alcoolisées a une lourde conséquence pour les organisateurs des pari-vente. Immersion dans un bistrot de N’Djamena où a lieu cette activité.

Carine* navigue dans le vide. Elle multiple des va-et-vient avec sa robe bleue, confectionnée pour son pari-vente. La vingtaine n’a vendu que trois casiers de bières. En temps normal, ce bar sera bondé de clients. Il y aura à peine de la place pour le monde. Les uns seront assis sur des casiers de bières vides. D’autres s’agripperont au comptoir. La piste de danse sera étouffée au rythme des variétés musicales.

Mais aujourd’hui, c’est le contraire. On compte difficilement une trentaine de personnes. Dans un angle mort de ce bistrot très fréquenté de N’Djamena, il n’y a qu’une seule table remplie de bières. Les autres sirotent en ordre dispersé. Une situation insupportable pour l’organisatrice du pari-vente, Carine*.  « Si j’ai organisé ce pari-vente avant l’augmentation du prix des boissons, j’aurai déjà vendu une vingtaine de casiers de bières », se force-t-elle à dire avec un sourire moins jovial.

Le 2 janvier, les Brasseries du Tchad ont annoncé la hausse des prix de ses boissons.  Et la répercussion fut immédiate.  Une bouteille d’alcool qui généralement se vendait à 1000 francs CFA dans les pari-ventes, est passée à 1 250 voire 1 500 francs CFA. Une spéculation qui a poussé les grossistes, les tenanciers et des consommateurs a observé un mot d’ordre de grève lancé par le Collectif tchadien pour la lutte contre la vie chère.  Des bistrots ont fermé des portes ou ont réduit leur personnel pour fonctionner tant bien que mal. D’autres tenanciers de bars ont reconverti leurs locaux en cave.

Carine* est submergé à l’instant par cette spéculation. La doyenne des pari-ventes multiplie des coups d’appel pour rappeler aux retardateurs que son activité se déroule maintenant.  Il lui faut faire de la recette pour supporter les charges.  Payer les servants en peu d’activité ce soir. Verser le fonds de location du lieu au bailleur et les autres dépenses indirectes.

Il faut attendre un peu tard pour voir le nombre des clients se multiplier. Les commandes se faisaient mieux qu’avant. Le gérant qui était au repos dans la journée sortait des bières de temps en temps du congélateur.  Elles sont bien glacées, mais les consommateurs n’achètent pas à volonté comme le souhaite Carine*.  

« Je suis venu faire acte de présence.  Avec mes 5 000 francs CFA, j’ai pris trois bouteilles. Il me reste 500 francs pour payer le clando (mototaxi) pour rentrer », dit un client sur le point de départ. Le second ironise qu’avec l’augmentation du prix, il rentre à la maison sobre ce qui n’était pas dans ses habitudes. « Avant dans un pari-vente avec un 10.000 francs tu es roi, aujourd’hui ce n’est plus le cas », laisse-t-il entendre en retirant sa moto du parking.

À l’intérieur, Carine tourne les pouces. Il est fort probable qu’elle ne réalise pas des bénéfices cette fois-ci. S’abstiendra ou s’entêtera-t-elle à l’organiser une fois ?