Au Tchad, chaque fête a ses mets incontournables. Si le mouton rôti et les biscuits traditionnels font partie des classiques de l’Aïd, des mariages et autres grandes cérémonies, une douceur plus discrète, mais tout aussi symbolique, trouve sa place sur les tables : le “Nakia”. Préparée à base de farine de riz, de sucre, d’huile et d’eau, cette recette demande patience, force et savoir-faire.
Dans la cour de sa maison, sous un abri de fortune qui protège du soleil écrasant, Halima, 58 ans, prépare le “Nakia” pour l’Aid al fitr. “Je tiens cette recette de ma mère, qui la tenait de sa grand-mère. Chez nous, une fête sans “Nakia”, ce n’est pas vraiment une fête”, explique-t-elle, en remuant sans relâche une grande marmite posée sur un feu de bois. “Il faut de la farine de riz bien tamisée, du sucre, un peu d’huile et beaucoup d’eau. Mais surtout, il faut de la patience. C’est un plat qui se mérite”, ajoute-t-elle en souriant.
La cuisson du “Nakia” est une véritable épreuve physique. “Ça prend toute la journée. On commence tôt le matin et on ne s’arrête que quand la pâte devient compacte comme une boule”, raconte Hadja. Le secret, dit-elle, réside dans le mouvement. “Il faut remuer sans arrêt pour que ça ne s’entasse pas au fond de la marmite. Si on s’arrête, c’est gâté.”
Autour d’elle, des voisines viennent donner un coup de main. “C’est une recette qu’on ne fait jamais seule. C’est trop fatigant. C’est aussi une façon de se retrouver entre femmes, de discuter, de rire, et parfois même de chanter,” raconte Aïcha, une amie de longue date venue prêter main forte.
Quand la pâte prend enfin la consistance parfaite, ferme mais moelleuse, Hadja verse le mélange brûlant dans une grande tasse huilée. “Il faut laisser refroidir avant de découper”, précise-t-elle. Une fois refroidi, le “Nakia” est tranché en morceaux carrés ou losanges, puis disposé soigneusement sur des assiettes. “C’est une douceur simple, mais elle symbolise la générosité. On le partage avec tout le monde : famille, amis, voisins, et même les invités de passage”, explique Hadja en essuyant son front plein de sueur.
Au-delà du goût sucré et de la texture fondante, le “Nakia” a une valeur symbolique forte. “Offrir du “Nakia”, c’est montrer qu’on a pris le temps de préparer quelque chose d’exceptionnel pour ses invités”, dit Hadja avec une pointe de fierté. Lors des fêtes, il est souvent accompagné du thé ou de café, et servi avant même les plats principaux. “C’est une façon d’honorer les invités en leur offrant une douceur faite avec amour et patience,” ajoute Aïcha.
Si certains jeunes préfèrent aujourd’hui acheter des gâteaux modernes en pâtisserie, Hadja reste convaincue que le “Nakia” ne disparaîtra pas. “Tant qu’il y aura des fêtes et des mariages, il y aura du “Nakia”. C’est une recette qui nous lie à nos mères et à nos grands-mères. On ne peut pas laisser ça disparaître”, affirme-t-elle avec détermination.
Et alors que la nuit tombe sur la cour, les tasses de “Nakia” sont prêtes, alignées avec soin, attendant d’être servis. Hadja, épuisée mais souriante, conclut : “Demain, quand les invités le goûteront, ils sauront que ce n’est pas juste un dessert. C’est tout notre amour et notre héritage qu’ils savoureront.”