Le brillant journaliste et désormais diplomate aguerri, Ahmad Makaïla, est nommé ambassadeur du Tchad à Paris. De la prestance, de l’entregent et une proximité avec le ministre des Affaires étrangères qui seront mis au service d’une nouvelle approche (plus séductrice ?) de la diplomatie tchadienne. Mais malgré ces efforts, Makaïla n’est-il pas juste cet arbre qui cache la forêt ?

Un peu de *velouté à Paris. Les informations confidentielles qui ont fuité sur l’arrivée d’Ahmad Makaïla à l’ambassade du Tchad à Paris ont donc été confirmées par le seing présidentiel sur un décret daté de ce mardi 31 janvier. Cette nomination est un signe fort de la volonté de changement dans les rapports avec le principal soutien de la transition tchadienne. Une habilité nouvelle…. Non pas que l’ancien journaliste soit meilleur qu’un autre (même si dans le fond, il doit y avoir un peu de ça de la part du ministre), mais la représentation diplomatique tchadienne dans l’Hexagone avait plus que besoin de cet entregent qui a fait défaut aux derniers occupants de l’immeuble la rue des Belles feuilles.

Un duo de longue date

Pourquoi Ahmat Makaïla et pas un(e) autre ? Outre le fait qu’il connaisse sur le bout des doigts les codes et usages de la diplomatie (ce velouté dans les rapports si chers au cardinal de Richelieu) suite notamment à son séjour genevois en tant qu’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Tchad en Suisse, l’ancien éditorialiste de Télé Tchad n’est pas un inconnu pour Mahamat-Saleh Annadif, l’actuel chef de la diplomatie tchadienne.

Ils ont, tout d’abord, travaillé ensemble au ministère des Affaires étrangères (entre 1997 et 2003), lorsqu’Annadif occupait le strapontin exécutif ; Ahmat Makaïla assurait la fonction très exposée de porte-parole. A la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali) ensuite, entre 2015 et 2017, ils ont reformé le duo presque dans la même configuration. Cette proximité (voire complicité) entre les 2 hommes est l’atout maître dans l’accomplissement de la future mission, qui a défaut d’être vraiment périlleuse, sera parsemée d’embuches. Entre les différentes voix qui s’élèvent (qu’elles soient africaines ou américaines) contre le bail de 24 mois accordé à Mahamat Idriss Déby, les oppositions tchadiennes qui cherchent (et continueront à chercher) des soutiens internationaux et la gestion quotidienne des affaires à N’Djaména qui sera scrutée par tous les PTF, le nouvel ambassadeur devra slalomer entre les dossiers et faire preuve d’un funambulisme de haut vol pour préserver des rapports sains entre l’Etat tchadien et ses partenaires. Même si le soutien du « parrain » français est assuré, il faut pouvoir donner à ce dernier les coudés franches pour renforcer les appuis (politiques et financiers) dont le Tchad a besoin, car il a lui-même besoin de rassurer ses pairs européens.

L’arrivée d’Ahmad Makaïla permettra donc au chef de département de compter sur un homme qui désormais connaît le métier, un haut fonctionnaire qui a fait montre de son esprit de devoir et surtout de pouvoir s’appuyer sur une personne de confiance afin de caresser Paris dans le sens du poil et en tirer le maximum dans cette période lige.

« La plus jolie femme du monde… »

Mais voilà, cette verve propre à l’homme de média ou encore cette aménité dont on affuble Ahmat Makaïla, tous ces oripeaux diplomatiques ne serviront à rien tant que le niveau général dans la manière dont le Tchad est géré ne s’élève pas. Entre une administration défaillante, des politiques de gouvernement quasi inexistantes et leur application qui frôle la médiocrité (le tout emballé dans un faisceaux communicationnel des plus boitillants), le nouvel ambassadeur devra faire preuve de beaucoup d’imagination et trouver de subtils subterfuges pour tenter de masquer nos tares, nos échecs… notre incapacité à tracer pour ce pays et ses habitants les sillons d’une voie qui puisse le guider vers des lendemains meilleurs.

Ahmat Makaïla, aussi compétent, brillant et travailleur soit-il, ne changera pas grand-chose à l’image du Tchad, ne pourra pas faire de miracles tant que les décideurs politiques qui sont hiérarchiquement au-dessus de lui resteront engoncés dans le discours politicien plutôt que dans l’action politique.

A l’aune de sa prise de fonction à Paris, l’ancien journaliste quadragénaire devra garder en tête ce bon mot d’un autre journaliste, Nicolas de Chamfort : « La plus jolie femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ».

Chérif Adoudou Artine

*Le velouté > ce qui est doux au toucher, qui donne une impression de douceur (au goût, à l’ouïe, etc.).