Baisse des recettes pétrolières, aggravation des déficits budgétaires, réendettement, tarissement des financements: face au risque d’un effondrement plus profond, le Fonds monétaire international (FMI) tire la sonnette d’alarme et incite la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), secouée par les prix bas du pétrole, au réajustement.

D’une population globale estimée à près de 52,5 millions d’habitants (source BEAC), la CEMAC est une des organisations économiques régionales de l’Union africaine (UA) créée en 1994 par le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine (RCA) et le Tchad, autour d’un objectif commun de promotion de l’intégration économique entre eux.

A l’exception de la RCA, la quasi-totalité de ces pays sont producteurs et exportateurs nets de pétrole, avec une production annuelle estimée à 47,9 millions de tonnes en 2015 et fournie principalement par la Guinée équatoriale (12,1 millions), le Gabon (11,9 millions) et le Congo (11,8 millions), puis le Tchad (7,2 millions).

Mis à part le Cameroun, producteur modeste (4,9 millions de tonnes) mais qui tire la croissance régionale avec une économie un peu plus diversifiée, cette ressource représente pour la plupart d’entre eux l’essentiel de leur activité, atteignant parfois jusqu’à plus de 70% des recettes budgétaires.

Evidemment, une telle configuration est source de vulnérabilités et c’est le cas avec l’impact de la chute des prix du pétrole qui sévit depuis 2014.

A cause de ce choc, “la situation économique s’est fortement dégradée. La croissance a été réduite à 1,7% en 2015 et 2015 a également vu les déficits budgétaires [s’aggraver]”, constate dans une analyse publiée lundi à Yaoundé, une mission du Fonds monétaire international (FMI) effectuée dans la région depuis le 25 avril jusqu’à ce jour-là.

Cette analyse vient tempérer l’optimisme de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), la banque centrale régionale qui a annoncé récemment dans ses propres estimations un taux de croissance de 2,8% rapporté au PIB (produit intérieur brut), au terme de l’année écoulée.

A 4,8%, après une contreperformance de 1,7% l’année précédente alors que 2012 avait enregistré 6%, la zone CEMAC se voyait pourtant renouer avec la reprise en 2014.

PERSPECTIVES PAS HEUREUSES

Pour le FMI, les perspectives pour l’année en cours ne sont pas non plus heureuses.

“La persistance des cours du pétrole bas contribuera à maintenir la croissance à un faible niveau, en dessous des 2% en 2016”, a révélé à la presse lundi Mario de Zamaroczy, le chef de mission.

Cette projection est comparable à celle de la BEAC elle-même qui fin mars a fait part d’un recul de 1,6%. Mais au lieu d’une hausse du déficit budgétaire à 4,1% du PIB et 12,0% pour le déficit extérieur courant annoncée par la banque centrale régionale pour 2015, le FMI, lui, déclare 7 et 9% respectivement.

Selon l’institution financière internationale, c’est la conséquence de la contraction d’environ un tiers de la valeur des exportations de pétrole. “Ces deux déficits, précise d’ailleurs son chef de mission, devraient se situer à 8% du PIB en 2016, en raison de la persistance des faibles cours du pétrole et du volume important des dépenses budgétaires”.

En 2015, la zone CEMAC a exporté pour 3.911,6 milliards de francs CFA (7,823 milliards de dollars) de pétrole, représentant un volume de 45,3 millions de tonnes, d’après les données publiées par la BEAC. Un an auparavant, ce commerce totalisait 43,5 millions de tonnes de brut et 6.548,8 milliards de francs CFA (13,097 milliards de dollars) d’entrées de devises.

Pour 2016, les projections font état de 41 millions de tonnes d’exportations et 2.771,1 milliards de francs CFA (5,542 milliards de dollars) de recettes.

C’est une perspective qui confirme les inquiétudes exprimées quant à une conjoncture économique plus critique, à laquelle s’ajoute un climat sécuritaire également tendu, dû à la menace terroriste de la secte islamiste nigériane Boko Haram qui, en dehors du Nigeria lui-même, affecte aussi la zone CEMAC par le biais du Cameroun et du Tchad.

Dans ses analyses, pour compenser une réduction de 34,7% des ventes de pétrole brut et de 25,4% du méthanol et autres gaz en cours de cette année, la BEAC mise sur une augmentation de 13,5% des ventes de bois, 60,4% pour le manganèse et 15,7% pour le cacao.

Ces transactions devraient représenter une valeur respective de 947 milliards (1,894 milliard de dollars), 549,1 milliards (1,098 milliard de dollars) et 392 milliards (784 millions de dollars) de francs CFA.

Elle table sur un besoin de financement de 4.248,7 milliards de francs CFA (8,497 milliards de dollars), qui serait en partie couvert par des dons extérieurs de 526,3 milliards (1,052 milliard de dollars).

Un montant de 1.772,4 milliards (3,544 milliards de dollars) pour des tirages au titre de prêts-projets et trésorerie, 28,1 milliards (56,2 millions de dollars), pour des allègements de la dette extérieure, notamment au profit du Tchad, des tirages nets sur le système bancaire à hauteur de 997,1 milliards (1,994 milliard de dollars) et de 205,1 milliards (410,2 millions de dollars) sur le ystème non bancaire.

Un gap de 719,6 milliards (1,439 milliard de dollars), représentant 1,7% du PIB régional, est cependant à combler.

Le FMI parle d’un réendettement des Etats, quand eux se défendent de se maintenir à des niveaux soutenables de leur dette. En 2015, l’institution a par exemple reclassé le Cameroun de la catégorie des pays à risque de surendettement modéré à celle des pays à risque élevé.

D’après les statistiques officielles, ce pays affiche pourtant un taux de 20,1% de sa dette extérieure rapporté à son PIB, contre 26% de moyenne générale et 70% la norme régionale prescrite par la BEAC.

POLITIQUE MONETAIRE ACCOMMODANTE 

Pour la première fois, sous l’effet des tensions de trésorerie, l’ensemble des six pays de la région a eu recours en 2015 aux avances statutaires de la BEAC.

Ce sont des crédits spéciaux que la banque centrale met à la disposition des gouvernements de la région, “à concurrence de 20% des recettes validées de l’année” d’avant et leur volume s’est accru de “plus de 50%”, observe le FMI.

Pour M. de Zamaroczy, le temps est venu de suspendre cette “politique monétaire accommodante qui n’est pas sans coût”.

“Le coût le plus important, c’est bien entendu, d’un côté l’endettement des Etats, puisque ce sont des avances. Il y a des intérêts à payer par chaque Etat, en plus il faut que l’Etat les rembourse. Ça rentre dans le service de la dette”, a-t-il indiqué.

D’autre part, ces opérations, explique l’économiste, entraînent une diminution des réserves de la banque centrale, “puisqu’une partie importante de ces avances statutaires ainsi octroyées trouvent le chemin d’importations accrues”.

“Nous avons constaté que les réserves restent pour le moment à un niveau adéquat pour couvrir les besoins de la communauté. Mais elles ont baissé rapidement et si cette baisse devait continuer, on arriverait à des niveaux qui nous paraissent être des niveaux en dessous desquels il ne faudrait pas descendre, dans une situation d’une communauté monétaire avec un taux de change fixe”, a-t-il poursuivi.

Autre motif d’inquiétude : à cause du choc pétrolier, la zone CEMAC “a également épuisé ses épargnes, la quasi-totalité des Etats n’ont plus d’épargne budgétaire significative, à l’exception d’un des pays, et donc la marge de manœuvre de la région nous paraît être   relativement limitée et tout nouveau choc pourrait avoir des conséquences importantes”.

Pour mieux répondre aux défis imposés, le FMI recommande à l’ensemble des six Etats d’engager sans délai un redressement vigoureux budgétaire, afin d’assurer le maintien de la stabilité macroéconomique.

Selon son chef de mission, “à court terme, il faut augmenter les recettes et réduire les dépenses, puis à moyen terme commencer à penser à des politiques structurelles pour adapter les économies au choc et pour les diversifier de façon à ce que ces économies puissent mieux répondre dans la durée à la nouvelle donne internationale”.

“Au niveau des recettes, conclut-il, bien entendu comme les recettes pétrolières sont en recul, l’effort doit porter sur les recettes non pétrolières. Et là à court terme, les mesures que nous réconisons sont un élargissement du recouvrement. Nous ne recommandons pas dans l’immédiat de changer la fiscalité, mais simplement de mieux recouvrer les impôts qui sont dus, notamment par les entreprises qui ne s’acquittent pas pleinement de leur devoir fiscal”.