Les dirigeants de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) se réunissent vendredi à Yaoundé à l’occasion d’un sommet extraordinaire visant à la recherche de “solutions” pour apaiser des tensions que fait subir à leurs économies l’effondrement des prix du pétrole, leur principale source de revenus en devises.

Les travaux du sommet auront lieu au Palais de l’Unité, le siège du pouvoir camerounais à Yaoundé, selon le programme officiel publié par la présidence dès mercredi sur les antennes de Cameroon Radio and Television (CRTV), l’office de radio et télévision public.

Sur les six pays de la CEMAC, les présidents Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de la Guinée équatoriale, Faustin Archange Touadéra de la République centrafricaine (RCA) et Idriss Déby Itno du Tchad étaient déjà présents au Cameroun jeudi, où ils ont eu un premier contact avec leur homologue Paul Biya lors d’un dîner offert par celui-ci en soirée.

Seul manquait Ali Bongo Ondimba du Gabon, attendu probablement vendredi matin, peu avant l’ouverture de cette concertation au sommet d’urgence prévue à 10H00 (09H00 GMT).

Des personnalités étrangères y sont aussi conviées, comme par exemple le ministre français de l’Economie et des Finances, Michel Sapin.

L’ordre du jour n’a pas été dévoilé par le pouvoir camerounais, mais cette participation massive est perçue par les observateurs comme un indicateur relatif à un rendez-vous de grands enjeux.

Comme à l’accoutumée, les autorités camerounaises ont pavoisé de banderoles aux messages sympathiques pour l’accueil de leurs hôtes, les rues de Yaoundé, surtout l’artère principale qui divise en deux parties la ville et sert d’itinéraire aux cortèges présidentiels pour le trajet permettant de relier l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen au centre-ville et jusqu’au palais présidentiel.

Ces banderoles laissaient en effet découvrir quelques indices sur les préoccupations des leaders de la CEMAC. L’une d’elles visible à Tsinga, non loin du palais présidentiel, cadre de la rencontre, évoquait notamment une recherche de “solutions aux problèmes économiques de la région”.

A l’évidence, il s’agit là d’une allusion manifeste à la conjoncture difficile que traversent les économies camerounaise, centrafricaine, congolaise, gabonaise, équato-guinéenne et tchadienne, à cause de l’effondrement des prix des matières premières dont le pétrole, base des exportations régionales, puis d’un climat sécuritaire préoccupant.

Créée en 1994 pour tourner la page de vingt-deux ans d’activités de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC) et redonner une vitalité à l’intégration régionale, la CEMAC est un espace communautaire composé de pays en majorité producteurs et exportateurs nets de pétrole, à l’exception d’un seul, la RCA, encore au stade de l’exploration.

Sous l’effet de la baisse persistante du prix du baril, ces pays, à l’exception du Cameroun qui se distingue par une économie relativement diversifiée, ont plongé dans la crise.

En Guinée équatoriale, au Tchad, au Gabon, au Congo, la production pétrolière représente entre 70 et 80% des exportations. Ce qui n’est pas le cas du Cameroun, où elle est de moins de la moitié.

Poids lourd économique de la région, doté d’un tissu industriel relativement appréciable et reconnu pour le dynamisme de ses secteurs agricole et sylvicole, le pays de Paul Biya n’évolue pas cependant sans incertitudes.

Avec le Tchad, il est confronté à la menace terroriste due à la secte islamiste nigériane Boko Haram et subit par ailleurs les effets de la crise provoquée par la chute du régime de François Bozizé par les ex-rebelles de la Séléka en 2013.

DECELERATION DE CROISSANCE BRUTALE

Mardi, la BEAC a dévoilé sa récente évaluation des perspectives économiques régionales et les résultats sont plus que jamais alarmants. De 2,8% en 2015, la décélération de la croissance paraît plus brutale cette année, à peu près 1%, estime la banque centrale sous-régionale.

Lors de leur sommet prévu à huis clos vendredi à Yaoundé, les chefs d’Etat tenteront de préconiser des “solutions” pour sortir de la crise économique jugée comme une menace à la stabilité de leurs différents pays, y compris le Cameroun, qui a fait de l’intensification des échanges intracommunautaires une priorité, estime le géostratège Joseph Ntuda Ebodé.

En plus de l’impératif de diversification économique sans cesse rappelé par la BEAC, deux propositions de solutions seraient au menu des discussions de ce sommet, à en croire certaines indiscrétions.

Ces propositions ont trait, d’une part, à une nouvelle dévaluation (après celle de 1994) du franc CFA, monnaie commune de la CEMAC et de neuf autres pays francophones d’Afrique liée à l’euro par une parité fixe, et d’autre part, à l’adoption d’un train de mesures d’austérité ou ajustements structurels.

Compte tenu de la conjoncture difficile, le choix le plus raisonnable à prendre entre ces deux mesures envisagées est celui des ajustements structurels pour permettre la relance de l’activité, a suggéré le professeur Ntuda Ebodé.

Mais comme le goût amer laissé par la dévaluation de 1994, cette hypothèse fait frémir les populations de la CEMAC, auxquelles elle rappelle le souvenir douloureux des ajustements structurels imposés sous la pression par le Fonds monétaire international (FMI) aux pays africains suite à la crise économique de la fin des années 1980.

Ces ajustements avaient été vécus comme une pilule amère, à cause des licenciements massifs relatifs à une obligation de réduction des effectifs de la fonction publique et de nombreuses entreprises publiques, soumises en outre pour beaucoup d’entre elles à des privatisations. Les pays africains ont mis de longues années à se remettre de ce choc.

Mais pour la CEMAC aujourd’hui, “les ajustements structurels sont nécessaires, pour surmonter la crise économique qui frappe la Guinée équatoriale, le Tchad, le Congo et le Gabon”, résume Ntuda Ebodé.

Raphaël MVOGO