YAOUNDE, 9 juin (Xinhua) — Un des 5 représentants de l’Afrique avec le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et l’Algérie, le Cameroun entame sa participation à la Coupe du monde de football organisée dès jeudi au Brésil, dans un climat peu rassurant dû à une affaire de primes des joueurs non réglée à temps et cause du report de près de 24 heures du départ de la sélection dimanche de Yaoundé.

Initialement prévu dimanche matin à 9h00 heures locales (8h00 GMT), c’est plutôt lundi à 3h00 (2h00 GMT) que le vol devant transporter les joueurs camerounais avec leur staff technique conduit par l’Allemand Volker Finke et les dirigeants du football national pour le Brésil a été programmé de décoller de l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, selon des sources concordantes contactées par Xinhua.

Non contents des montants jugés bas des primes allouées par la Fédération camerounaise de football (FECAFOOT), Samuel Eto’o Fils et ses coéquipiers ont refusé de quitter leur hôtel, après avoir déjà boycotté la veille la remise du drapeau national par le Premier ministre Philemon Yang au terme de leur ultime match de préparation remporté 1-0 face à la Moldavie au stade Omnisports de Yaoundé.

C’est l’enlisement d’un feuilleton vécu depuis le stage bloqué organisé du 20 au 31 mai en Autriche, où l’équipe avait observé une grève d’entraînement pour réclamer le versement par le gouvernement d’une prime de participation au Mondial de 50 millions de francs CFA (100.000 dollars américains) par joueur accompagné d’une revalorisation des primes issues des financements accordés par les sponsors.

Après d’âpres négociations, le pouvoir camerounais s’est résolu à satisfaire à cette exigence. De plus, la Fédération camerounaise de football (FECAFOOT) a accepté d’allouer à chaque joueur une somme supplémentaire, pour le compte du premier tour, représentant 6% des primes de participation accordées par la Fédération internationale de football association (FIFA).

Une augmentation à 20% a été promise en cas de qualification de la sélection pour les huitièmes de finale, puis 30% pour les quarts de finale, ensuite 40% pour les demi-finales et enfin 50% pour la finale. La revalorisation de 15 à 34% des financements fournis pars les “top-sponsors” (l’équipementier Puma, Orange-Cameroun, Bolloré Africa Logistics et les Brasseries du Cameroun) a été aussi annoncée.

Le déblocage des 50 millions de francs CFA de prime du gouvernement n’a cependant pas dissipé les tensions. Selon un communiqué publié dimanche dans la nuit, la fédération a dû recourir à un prêt privé pour verser aux joueurs une somme individuelle supplémentaire estimée à 5,8 millions de francs CFA (11.600 dollars américains). Certaines sources ont fait état au départ de 10 millions de francs.

Diversement interprétée par l’opinion publique camerounaise, cette affaire des primes des Lions indomptables suscite des interrogations et fait ressurgir les vieux démons qui avaient déjà conduit, pour les mêmes raisons, à la débâcle de cette sélection autrefois enviée en Afrique, lors de la World Cup aux Etats-Unis en 1994 et en 2002 à l’occasion de l’édition organisée par la Corée et le Japon.

“Ce n’est pas seulement une affaire de primes. Derrière cette histoire, il y a les disputes du pouvoir à la FECAFOOT”, a laissé entendre à Xinhua un responsable de cette fédération.

Effectivement, l’histoire des primes des Lions indomptables représente la face visible de l’iceberg pour un imbroglio caractérisé depuis toujours par des guerres de tranchées autour de la FECAFOOT liées à la gestion de l’argent généré par la participation des équipes du pays aux compétitions internationales comme le présent Mondial organisé par la FIFA.

A l’instar des 31 autres sélections qualifiées, le Cameroun, adversaire du Mexique, de la Croatie et du Brésil en matches de poule, a perçu de la FIFA une prime de préparation évaluée à 750 millions de francs CFA (1,5 million de dollars américains), en dehors des primes de participation au Mondial plus élevées, dont environ 4 milliards de francs CFA (8 millions de dollars américains) pour le premier tour, disponibles cependant après la compétition à partir du mois d’août.

Comme d’habitude, aucune information n’a été communiquée sur l’utilisation de cet argent, illustration d’une gestion opaque se rapportant aussi aux fonds publics généralement débloqués par le gouvernement à l’occasion de tels rendez-vous.

Pour cette raison, les joueurs s’estiment pris en otage par un système préoccupé par d’autres intérêts que l’objectif de bonnes performances dans les stades. Il arrive parfois qu’ils ne perçoivent pas la totalité des primes promises, ce qui tend à justifier le bras de fer actuel. Aussi Samuel Eto’o et ses camarades ont-ils exigé le paiement avant le départ de Yaoundé de leur prime du premier tour du Mondial brésilien.

Bien avant le stage bloqué en Autriche, le célèbre attaquant auquel s’est ajouté le “vieux Lion” Roger Milla et d’autres personnes, s’est exprimé pour réclamer le départ du comité de normalisation de la FECAFOOT mis en place en juillet 2013 par la FIFA après l’incarcération pour détournement présumé de fonds publics à la Société de développement du coton (SODECOTON, étatique) de Mohamed Iya.

En poste depuis près de 20 ans, ce dirigeant sportif avait été réélu à la présidence de la FECAFOOT au terme d’un processus électoral très tumultueux et mal digéré par ses adversaires. Nommé pour un mandat de huit mois prorogé en mars, le comité de normalisation est apparu à son tour sous le feu des critiques l’accusant de poursuivre dans la logique des intérêts financiers.

Sept participations à une phase finale de la Coupe du monde après 1982 en Espagne, 1990 en Italie (où ils avaient d’ailleurs fait sensation en s’inscrivant comme la première sélection africaine à atteindre les quarts de finale), 1994 aux Etats-Unis, 1998 en France, 2002 en Corée-Japon et 2010 en Afrique du Sud, cette sélection a pourtant fait renaître l’espoir en s’imposant 2-2 en amical face à l’Allemagne.

Pour ce match disputé le 1er juin en marge de la préparation pour le rendez-vous brésilien ponctuée par ailleurs d’une lourde défaite de 1-5 contre le Portugal suivie d’un autre faux pas 1-2 face au Paraguay et d’une victoire 2-0 sur la Macédoine avant le résultat de 1-0 samedi au détriment de la Moldavie, Samuel Eto’o et ses coéquipiers ont révélé “un très bon état d’esprit”, de l’avis de l’ex-coach Jules Nyongha.

“C’est une équipe qui commençait à nous faire penser qu’on aurait une bonne prestation à la Coupe du monde”, a commenté à Xinhua le technicien camerounais, victime lui-même en tant que membre de staff technique dirigé par le Russe Valery Nepomniachi en 1990, sur une pointe de déception face au nouveau feuilleton de primes qui a vu les joueurs boycotter le départ de dimanche matin pour le Brésil.

Entre les joueurs et les dirigeants du football, une crise de confiance s’est installée, qui est loin d’augurer d’une bonne prestation du Cameroun au Mondial-2014, d’autant que par ailleurs depuis le match contre l’Allemagne, pour cause de retour au pays pour une communion avec le peuple après le stage en Autriche, plusieurs jours se sont écoulés sans entraînement.

“C’est embêtant pour l’image même du Cameroun. On y laisse toujours des plumes quand ce genre de chose arrive, même si on pense qu’ils peuvent se ressaisir à la dernière minute. On devait s’y prendre longtemps à l’avance pour ne pas mettre à mal le moral des joueurs et maintenir l’état d’esprit qu’on a remarqué lors du match contre l’Allemagne”, juge Jules Nyongha.

Par Raphaël MVOGO