Sur la piste qui longe les premières maisons de Diabali, les pick-up de l’armée malienne pointent leurs canons vers les rizières. Sur leurs blindés, légionnaires du 1er Rec et marsouins du 21e Rima prennent en enfilade, avec leurs mitrailleuses, les ruelles poussiéreuses de ce gros bourg agricole. Des rebelles islamistes hanteraient encore la région. Ils auraient fui, à pied ou à moto, la ville bombardée pendant cinq jours par les Mirage français. Le résultat est là : trois pick-up, armés d’un canon à tir rapide et d’une tourelle blindée, gisent, calcinés, sur un terre-plein. C’est ici, dans le quartier Berlin, que les djihadistes avaient massé leurs forces, craignant une contre-offensive de l’armée régulière épaulée par les troupes françaises. Il n’en a rien été. C’est du ciel que tout s’est joué. « Les islamistes cachaient comme toujours leurs véhicules dans des cours ou des ruelles, en les camouflant avec des branchages, mais cela n’a rien changé, me raconte un habitant. Ils explosaient un à un, et les islamistes avec. Du coup, ils ont enterré les corps de leurs frères un peu partout. »

A peine arrivée, la horde djihadiste s’est attaquée aux symboles impies à ses yeux. En premier lieu, la petite église du Sacré-Cœur. Les islamistes ont brisé le grand crucifix en bois, coupé la tête des statues de la Vierge, tiré dans le tabernacle et fracturé l’armoire où étaient entreposés le vin de messe et les objets liturgiques. Ils ont cassé les bancs et l’harmonium et, sur l’autel, descellé le carreau blanc, symbole de saint Pierre. Les pages des missels, arrachées, jonchent le sol. Le catéchiste responsable de l’église a pu fuir en emportant le ciboire et le vin consacré, mais les djihadistes ont abattu ses quatre cochons ; sans doute n’auraient-ils pas hésité à le tuer aussi s’ils l’avaient pu. Les 600 chrétiens de la commune, soit 2 à 3 % de la population, l’ont aussi échappé belle. « Des complices intégristes devaient montrer aux rebelles les maisons des catholiques afin que nous soyons arrêtés, me dit le président de la communauté, Victorien Dacko. Le choix était simple : se convertir à l’islam ou mourir. Heureusement, ils n’ont pas eu le temps de nous identifier. Beaucoup d’entre nous ont fui ou ont été cachés chez des amis musulmans. Sinon, il fallait se faire passer pour l’un d’entre eux. Moi, j’avais enlevé de mon doigt ma bague à l’effigie de la Vierge et ôté la chaîne et la croix que je porte autour du cou. Le comble, c’est que pour se protéger des bombardements, ils se réfugiaient dans l’église qu’ils avaient vandalisée, pensant que les Français ne la détruiraient pas. C’est ce qui s’est passé. » Dehors, un homme m’interpelle à côté d’un blindé français. « Ils nous apostrophaient dans la rue en nous disant, à nous musulmans : “Il faut croire en Dieu !” “C’est ce qu’on fait. On priait dans les mosquées avant que vous arriviez”, leur ai-je répondu. “On va appliquer la charia”, répétaient-ils en coupant les pantalons des hommes qu’ils croisaient. Ils voulaient aussi que l’on porte la barbe comme au temps du Prophète. » Un jeune écoute en tenant sa moto par le guidon. Un légionnaire, un Grec, épais comme la colonne d’un temple avec son gilet pare-balles, lui dit : « Enlève ça ! » en pointant le canon de son fusil sur l’image de Ben Laden collée sous la selle. L’inconnu, penaud, retire le capot en plastique et le casse d’un coup de pied, piétinant du même coup le visage du chef terroriste. « Ces gens-là ne veulent pas l’islam, ils cherchent autre chose », peste plus loin Oumar Diakité, le maire de Diabali, ceint de son écharpe tricolore malienne. « Ils ont pillé les boutiques, trois pharmacies et emporté les sacs de riz. A part imposer le voile aux femmes, ils n’avaient rien d’autre à dire. » « Ils se sont infiltrés grâce à des anciens Touareg du MNLA [le Mouvement national de libération de l’Azawad], qui s’étaient jadis ralliés avant de retourner à la rébellion, islamiste cette fois-ci, ajoute le deuxième adjoint. Ils réglaient leurs comptes en dénonçant aux djihadistes ceux avec qui ils avaient eu des différends. »

A Diabali, pour se protéger des frappes aériennes, les djihadistes se réfugient dans l’église qu’ils viennent de vandaliser

A côté, un grand type acquiesce. « Ils sont sans pitié, me dit-il. J’étais devant ma maison, face au pont Sika, quand j’ai vu un adjudant de l’armée faire signe à un pick-up de s’arrêter. En fait, c’était la voiture d’un émir, habillé comme tous les rebelles d’une longue chemise et coiffé d’un turban. L’islamiste a tiré de sang-froid sur le sous-officier, qui s’est écroulé en criant “Allah Akbar” [“Dieu est grand”]. L’émir l’a criblé de balles pour qu’il se taise. » Sur la place centrale, je retrouve le capitaine français Pascal, que j’ai rencontré la veille à Markala, à une heure et demie d’ici. Sa mission : bloquer toute infiltration islamiste. Aujourd’hui, il est heureux d’être monté sur la ligne de front. « Chez nous, tout est détruit », lui dit le commandant de la garnison malienne, le capitaine Samassa, devant son bureau qui n’est plus qu’un amas de ruines. A côté, une bombe a creusé un cratère de 3 mètres de profondeur, déchiquetant les véhicules militaires garés tout près. Un gros camion-benne a percuté le mur d’enceinte du camp. « C’est un véhicule d’une entreprise, m’explique le capitaine malien. Les islamistes s’étaient cachés dans la benne et avaient mis un des leurs, sans turban, au volant. » Un cheval de Troie, ­version djihadiste, qui a permis aux rebelles d’investir le camp. « Qu’ils viennent. On les attend de pied ferme. Ils ­seront reçus », ­répond aux menaces djihadistes, en souriant, le capitaine Pascal. « On ne les sous-estime pas, me dit-il. Bien au contraire, on sait qu’ils sont capables de manœuvrer, de monter des opérations de diversion et de se glisser entre des lignes de défense pour perpétrer des actions spectaculaires. Mais s’ils entrent dans notre dispositif, ils auront du mal à s’en sortir. »

La direction de tir de chaque arme a été calculée pour qu’il n’y ait aucun angle mort. A Markala, sur le bord d’un trou creusé à l’ombre d’un eucalyptus, une mitrailleuse 12.7 mm prend en enfilade l’autre rive du fleuve Niger, distante de 900 mètres. « J’ai une marge de 300 ou 400 mètres pour balayer le secteur », me précise le capitaine. Pour rejoindre la rive nord, il faut emprunter un long pont en acier. C’est cet ouvrage qu’il faut tenir à tout prix, car il permet l’accès à Ségou. Une grosse ville que la colonne islamiste de l’Ouest escomptait prendre en bousculant une à une les garnisons faméliques de l’armée malienne pour atteindre, pourquoi pas, la capitale Bamako. Pour parer à toute éventualité, le capitaine a disséminé ses hommes autour d’un village à moitié abandonné. Dissimulés, les marsouins ont mis en batterie leurs mitrailleuses et leurs postes de tir de missiles Milan. Casque lourd sur la tête, deux petits Chinois et un grand Ukrainien scrutent la savane, abrités du soleil par un épineux. Ces légionnaires appartiennent au 1er Rec d’Orange et sont venus du Tchad avec la compagnie du capitaine Pascal. Tout près, une famille tamashek vit désormais avec ces soldats autour de sa case misérable. « On est heureux qu’ils soient là. On veut qu’ils restent », me dit le plus ancien en me faisant comprendre que ces hommes représentent une protection car, depuis que la rébellion du Nord a commencé, les Touareg sont mal vus au Sud. Selon une ONG, plusieurs auraient même été tués par des éléments incontrôlés de l’armée malienne.

 

Source : Paris.Match