« Une tête bien faite et bien pleine » c’est en ces mots qu’on pourrait definir Madjissem Beringaye, jeune entrepreneure franco-tchadienne .
Sa société de conseil stratégique dédiée à l’Afrique et sa société de production lui concède le statut de “espoir de demain” car l’entrepreneuriat est l’avenir de l’emploi et par ricochet l’avenir de l’économie tchadienne. Madjissem est l’une des rares femmes à entreprendre au Tchad, son defi c’est de pouvoir apporter son expérience aux jeunes entrepreneurs tchadiens via son association.

 

Un entretien plein de surprises, de positivisme et de bonheur.

 

Bonjour Madjissem, peux-tu te présenter en quelques minutes ?

Je m’appelle Madjissem Beringaye, j’ai 29 ans, je suis née au Tchad, à N’Djamena. J’ai essentiellement grandi en France et je vis actuellement en Paris. Néanmoins, les quelques années passées au Tchad, m’ont permis de garder un lien très fort avec le pays. D’ailleurs je parle couramment Sara et Gor, avec un accent épouvantable certes mais je parle quand même. Après un Master en Relations Internationales et en Affaires Publiques qui me destinait à une carrière dans la diplomatie, j’ai été prise par le virus de l’entreprenariat. C’est ainsi qu’après un passage au sein du groupe L’Oréal, j’ai créé ma propre entreprise.

 

Dans quel secteur opère ton entreprise?

 

Il s’agit d’une société conseil. Globalement, j’accompagne des entreprises et des investisseurs privés dans leur stratégie d’implantation sur le continent africain. Pour le moment, notre zone de spécialisation est l’Afrique francophone.

Je conseille également des personnalités sur toutes les questions liées à la communication et à l’image.

En 2013, j’ai également créé So Mad Productions, une société de production audiovisuelle et événementielle. Nous produisons des documentaires et des fictions. Pour exemple, nous venons de rentrer du Rwanda où nous tournons actuellement un documentaire qui retrace l’évolution du Rwanda depuis le génocide de 1994. L’idée est de montrer comment ce pays a su se redresser, au point d’être aujourd’hui’hui cité en exemple, notamment en matière de bonne gouvernance. Nous avons également un projet de fiction mais c’est encore confidentiel.

 

Qui sont tes partenaires ?

 

Pour la société de production je me suis associée à Sonia Rolland, une actrice franco-rwandaise. Le documentaire est une co-production avec une société française « Bagan films » et une société rwandaise «Ça tourne productions ».

Pour la fiction, nous travaillons avec un jeune producteur français. S’agissant de mon activité de conseil, j’opère avec un réseau de partenaires implantés localement.

 

A part faire du conseil, fais-tu le suivi de ces entreprises qui s’implantent en Afrique?

Oui bien sûr, c’est en fonction des besoins du client. Il y a des clients qui ont une politique de développement basée sur le rachat d’entreprises locales. Dans ce cas l’entreprise locale ayant déjà l’expérience du terrain, nous n’avons pas à intervenir. En revanche nous pouvons accompagner notre client dans la phase prospective qui précède le rachat. En aval, nous pouvons faire office d’agent local pour nos clients. Notre offre de service comprend alors la gestion de tous les aspects logistiques, administratifs et RH.

 

En tant que tchadienne, n’as-tu jamais été tentée par la création d’une entreprise dédiée uniquement au Tchad ? C’est une idée qui t’a effleurée ?

C’est une chose à laquelle j’ai déjà réfléchi et, à terme, j’envisage de sauter le pas. Mais le business c’est avant tout une question d’opportunités.

 

 

Mais dans quel secteur à peu près ?

Dans le conseil stratégique et business development

 

Vivre au Tchad c’est quelque chose qui te tente ?

Si l’occasion se présente, je me vois bien y vivre. Qui sait, je m’installerais peut-être demain au Tchad.  Je tiens à ajouter que je fais partie de cette jeunesse qui a une vision panafricaine des choses. Pour moi, le miracle africain est avant tout à l’échelle du continent. J’ai la chance de beaucoup voyager en Afrique, et ainsi d’être un témoin privilégié des changements qui s’y opèrent. Naturellement, j’ai envie d’y prendre part. Si c’est au Tchad que l’opportunité se présente, j’en serais ravie et si c’est ailleurs sur le continent, ce sera tout aussi bien.

 

A titre d’exemple, le Rwanda qui a connu des difficultés et qui est considéré comme un pays émergent, qui a connu une ascension fulgurante après le génocide, est ce que tu penses que c’est un exemple que certain pays d’Afrique devraient suivre? Notamment le Tchad ?

Oui et non!
OUI dans le sens où c’est un pays qui est tombé très bas et qui a réussi à se relever et à atteindre la position qu’on lui connaît aujourd’hui. Le Rwanda est exemplaire à différents niveaux, un pays propre, discipliné, tourné vers l’économie et vers l’avenir. Tous les enfants et les jeunes rwandais ont un sens du devoir et de la dignité très poussé. Autre exemple, le parlement compte 64% de femmes, c’est du jamais vu, même en occident. La plus part des ministères stratégiques ont à leur tête des femmes. Personnellement, je trouve que Louise Mushikiwabo, l’actuelle Ministre des affaires étrangères ferait un très bon Président.
J’ai tout de même quelques réserves car chaque pays a sa propre histoire, ses particularités et, partant de là, ce qui fonctionne pour le voisin ne fonctionnera pas nécessairement chez soi. En définitive, ce qu’il faut retenir du miracle rwandais c’est que la volonté, le travail et la bonne gouvernance constituent la base de tout développement socio-économique.

Mais là où ils se rejoignent c’est que se sont deux pays traumatises…

Certes, mais ce n’est pas du tout le même traumatisme. Ces 2 pays n’ont pas du tout la même histoire. Le traumatisme du Tchad est latent alors que les rwandais, eux , ont un peu plus d’avance dans le processus de réconciliation. La violence du génocide a permis une prise de conscience générale.

 

Pour toi finalement « à toute chose malheur est bon », ce n’est que lorsque l’on descend très bas que l’on acquiert l’envie de se surpasser?

C’est triste à dire mais oui !

 

Si ce traumatisme est latent au Tchad, qu’est ce qu’il faut faire ? S’asseoir autour d’une table et régler nos problèmes ?

Personnellement, je n’aime pas la violence, même si elle est parfois nécessaire. À noter que la plus part des pays et des nations se sont construit sur le sang, prenez exemple des États-Unis ….
A l’heure actuel, je pense que le Tchad peut éviter le piège de la guerre et du conflit mais pour cela, Il est primordial d’instaurer un dialogue entres toutes lesparties, les nordistes, les sudistes, ceux de l’est, de l’ouest… Je ressens une telle rancœur chez beaucoup de mes compatriotes qu’il est à mon sens urgent d’atténuer les tensions. Le chemin de la réconciliation passe avant tout par le dialogue. Il est temps de comprendre et d’intégrer que le Tchad est un et indivisible et que nous sommes condamnés à vivre ensemble et ce, en dépit de nos différences. Pour avancer, il est indispensable de définir un projet de société qui serait un trait d’union entre tous les tchadiens, c’est ce que les philosophes appellent le « vivre ensemble ».

 

Donc en gros ce serait plutôt une question de mentalité ?

De mentalité et d’éducation. Pour moi l’éducation c’est le « number one », le point le plus important, sans éducation il n’y a rien.

 

Qu’est-ce que tu préconises pour le Tchad ?

Personnellement, je crois beaucoup au pouvoir de l’espoir car comme le dit Teilhard de Chardin, « l’avenir appartient à ceux qui offrent aux générations futures les raisons d’espérer ».

Malheureusement, une grande partie de la jeunesse tchadienne est complètement découragée et cela est notamment dû à un contexte économique et social complexe. Une des solutions serait notamment que l’État tchadien travaille à établir un environnement socio-économique propice au développement de l’entrepreneuriat des jeunes.

 

Comment ôter les barrières dans la tête des jeunes ?

Encore une fois, cela passe par l’éducation. Notamment l’éducation à la culture de l’entreprenariat. C’est quelque chose qui manque en Afrique. Le retard de développement au Tchad est tel qu’il y a presque tout à faire. Dans un sens, c’est formidable puisque cela signifie qu’il reste de nombreuses potentialités à explorer. Beaucoup de nos jeunes n’ont que la « fonction publique » en tête mais le problème est que l’État ne peut pas, à lui seul, employer toute la population active. Aucun pays ne s’est développé sur une croissance exponentielle de la fonction publique, cette tache est dévolue à l’initiative privée, aux entrepreneurs. La fonction de l’État est avant tout de créer un environnement propice au développement des activités économiques.

Je viens d’ailleurs de créer une initiative ayant pour objet la promotion et la diffusion de l’entrepreneuriat des jeunes : Living The African Dream

 

Ne penses-tu pas qu’entreprendre au Tchad est compliqué car les gens ne sont pas assez optimistes et il n’y a aucune structure d’accompagnement pour la création d’entreprise?

C’est vrai. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons mis en place un programme visant à accompagner les porteurs de projets dans leur processus entrepreneurial. L’actualité nous rattrape un peu, on vient encore de changer le premier ministre tchadien,

 

Penses-tu que l’instabilité politique est un facteur de sous-développement ?

Evidemment, quoi qu’il en soit la stabilité va de pair avec le développement. Comment peut-on mener des réformes de fond si les équipes gouvernementales changent tous les 3 mois ? Je crois que cette année, nous avons battu un record. En moins de 10 mois, il y a eu près de cinq remaniements. Comment peut-on assurer la continuité de l’action publique dans ces conditions ?

 

Penses-tu qu’il serait mieux d’avoir une femme comme premier ministre ?

Éventuellement, si elle est compétente. Mais de manière générale, je ne suis pas particulièrement adepte de ce que l’on nomme communément la « discrimination positive » car cela sous-tend que l’on puisse nommer quelqu’un sur un critère autre que celui de la compétence. En revanche, si il y a une sérieuse candidate à la primature, je serai ravie de voir un femme occuper ce poste sinon, nommer une femme juste parce qu’il faut une femme serait complètement contre-productif à mon sens.

 

Tu t’intéresses à l’actualité tchadienne ?

Oui, c’est pour moi une nécessité de me tenir informer de ce qui se passe chez moi. Grâce à internet, je regarde presque tous les soirs le JT de Télé Tchad. Il y a de plus en plus de sites qui traitent de l’actualité tchadienne mais j’avoue une certaine méfiance vis-vis des informations que l’on y trouve, elles sont souvent très partiales. Tes ambitions,

 

C’est quoi ton rêve, tu voudrais être la prochaine Oprah winfrey ?

Oui ! « C’est une jolie success-story » ma citation préférée est « Dream big, start small, act now”. C’est un peu ma philosophie « rêvez grand, commencez petit et agissez maintenant.

Mon héros est Nelson Mandela (encore vivant lors de l’interview) notamment pour son action en faveur de la paix. La défense de ses idéaux lui a coûté 27 ans de sa vie et en dépit de cela, il a, à sa sortie de prison, réussi à instaurer le « vivre-ensemble » sud africain ! C’est un modèle dont devrait s’inspirer tous les Africains, notamment les Chefs d’État.

 

Ton livre préféré ?

Le livre que je suis en train de lire en ce moment. « La solidarité sauvera le monde » de Philippe Douste-Blazy, préfacé par Bill Clinton.

 

Qu’aimes tu faire en dehors de ton travail ?

Comme je le dis souvent, je me suis créé mon « dream job » ! Mon travail c’est ma passion. Les jours passent mais ne se ressemblent pas! Par exemple, j’adore voyager et il se trouvent que mes activités me le permettent, que demander de plus ?! En dehors de cela, j’aime les choses simples, être entouré de ceux que j’aime, bien manger, danser, m’habiller… un peu comme tout le monde en somme.

 

Quelle est la recette de ton succès ?

Il n’y a pas de recette miracle, il faut travailler et savoir saisir les opportunités qui se présentent. J’ai de la chance de venir d’une famille ou l’on m’a très tôt inculqué le goût du travail. J’ai été indépendante très tôt, j’ai financé moi-même mes études en travaillant en parallèle alors, je dirais en conclusion que la volonté, le travail et l’ambition sont la clé de la réussite. Merci beaucoup pour l’entretien