N’DJAMENA, 20 mai (Xinhua) — Le cinéaste tchadien Mahamat Saleh Haroun projette, ce mercredi, son nouveau long-métrage, ” Grigris”, devant le jury du festival cinématographique de Cannes. Le film, sorti en avant-première le week-end dernier dans la capitale tchadienne, suscite plein d’espoir dans son pays.

Mahamat Saleh Haroun est aujourd’hui un habitué du festival de Cannes. En 2002, il fait sa première montée des marches pour la quinzaine des réalisateurs où il présente “Abouna”. En 2010, il se présente en compétition officielle avec son film “Un homme qui crie n’est pas un ours qui dort” et remporte le prix du jury. La percée est très spectaculaire, car c’est la première fois, depuis 13 ans, qu’un long métrage africain est ainsi distingué à Cannes. L’année suivante, lors de la 64ème édition du festival, il y revient comme membre du jury présidé par Robert de Niro.

Ses trois précédents films “Daratt” (“Saison sèche”, en arabe local), “Abouna” (ou “Notre père”) et “Un homme qui crie” forment une trilogie basée sur une thématique qui est chère au cinéaste tchadien: la guerre et la relation père-fils.

“Grigris”, son cinquième long-métrage a été projeté le week- end dernier au Normandie, l’unique salle de cinéma dont dispose N’Djaména, la capitale du Tchad. Avec ce film, Mahamat Saleh Haroun met en lumière une certaine jeunesse qui se bat pour construire un avenir meilleur.

Produit en France où le cinéaste vit depuis une trentaine d’années et avec “des fonds franco-tchadiens”, “Grigris” raconte l’histoire d’un jeune homme de 25 ans, paralytique frappé par la poliomyélite durant son enfance, qui se rêve en danseur. Mais le rêve de Grigris (interprété par le burkinabé Souleymane Démé) se brise lorsque son oncle tombe gravement malade. Pour le sauver, il doit travailler pour des trafiquants d’essence.

“Je voulais raconter une histoire sur des trafiquants d’essence que je voyais partout à N’Djaména se livrer à des courses-poursuites: ils chargeaient des voitures de bidon d’essence, puis étaient poursuivis par des douaniers. C’est donc un phénomène assez prégnant dont je souhaitais parler à travers un film de genre, tout en évitant les poncifs”, a-t-il expliqué à la presse.

En 2011, le cinéaste tchadien est au Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou (FESPACO), au Burkina Faso. Il assiste à un spectacle où il découvre un danseur handicapé de la jambe gauche: Souleymane Démé.

“Quand je l’ai vu entrer sur scène, je me suis dit que je tenais le protagoniste de mon histoire. Je me souviens qu’à l’époque, il avait les cheveux teints en blond et qu’il avait quelque chose de surnaturel chez lui qui m’a séduit. Cette histoire m’a permis de trouver l’axe d’écriture du film”, a ajouté Mahamat Saleh Haroun.

Ainsi est né “Grigris”. Pour le cinéaste tchadien, “c’est le sujet qui imprime un monde, une forme et un rythme à l’histoire». Il veut son dernier film plus dynamique que les précédents.

Grigris est un peu danseur, un peu photographe, un peu réparateur de radios. Bref, il est dans la débrouillardise et dans la survie, se fait un devoir de subvenir aux besoins de sa famille. Il se retrouve sous l’emprise des voyous. Il rencontre Mimi, une prostituée métisse, et les deux s’aiment.

Fuyant la ville où ils se sentent à l’étroit, Grigris et Mimi arrivent à la campagne. Un horizon se dégage pour eux, qui s’exprime par des élans de solidarité et la possibilité d’une vie heureuse, toute simple, au bord du fleuve.

Dans “Grigris”, des séquences bruyantes s’alternent avec des séquences subtiles et très en douceur. Mahamat Saleh Haroun fait imprimer une couleur sereine à chaque séquence, tout en gardant équilibre et unité. Le rouge, symbole de désir, d’attirance et de sang, est partout.

“J’ai vraiment essayé de m’en tenir à la réalité du pays. J’ai visité plusieurs chambres de jeunes femmes célibataires, et je me suis aperçu que le rouge était souvent présent. D’ailleurs, la chambre où nous avons tourné, censée être celle de Mimi, apparaît à l’écran telle qu’elle est dans la réalité”, a indiqué le cinéaste.

En effet, Mahamat Saleh Haroun s’est inspiré particulièrement d’un quartier de N’Djaména, où se trouvent beaucoup de prostituées. Il s’est également inspiré des nuits dans cette ville qui a très peu d’éclairage public. “C’est un phénomène très tchadien: il s’agit d’une société à majorité musulmane où les événements les plus interlopes se déroulent au coucher du soleil. Je voulais montrer cette vie souterraine dans toute sa flamboyance, puis retrouver une forme d’ascèse qui caractérise la journée”, a-t-il insisté.

“C’est un film qui parle de la réalité tchadienne. Et la qualité du travail est impeccable. Je suis vraiment ému et ravi de tout ce que Mahamat Saleh Haroun a fait. C’est une ouverture du cinéma tchadien, de la culture tchadienne dans le monde”, s’est réjoui le ministre de la Culture et de la Conservation du patrimoine du Tchad, Dayang Menwa Enoch, qui a assisté à l’avant- première de “Grigris”.

M. Dayang Menwa Enoch et son collègue en charge de la Jeunesse et des Sports, Ahmat Adoum, devraient quitter N’Djaména ce mardi pour Cannes.

Ce 22 mai, jour de la projection de “Grigris” devant le jury du festival dirigé par le réalisateur américain Steven Spielberg, les deux responsables gouvernementaux devront être sur la Croisette pour encourager leur compatriote.

Au Tchad, la projection officielle de “Grigris” sera très suivie, grâce à des plateaux spéciaux qui seront faits sur la télévision officielle. Le ministre de la Communication, Hassan Sylla Bakari, a déclaré à Xinhua qu’il enverrait une équipe de journalistes à Cannes pour couvrir l’événement.

“Nous sommes disposés à soutenir Mahamat Saleh Haroun qui fait un très bon boulot”, a affirmé le porte-parole du gouvernement tchadien, ajoutant qu’au niveau de l’Office national de radiotélévision (ONRTV), “il y a aujourd’hui un fonds qui est disponible et qui permet, depuis quelques années, à aider les artistes”.

“Mahamat Saleh Haroun affronte, cette année, de grands noms du septième art. Mais nous espérons que son “Grigris” lui portera chance et qu’il nous nous ramènera la Palme d’or”, conclut Issa Serge Coelho, cinéaste et directeur du Normandie.