YAOUNDE, 21 mai (Xinhua) — Intronisé par le Conseil national de transition (CNT) mis en place par ses propres soins, le nouvel homme fort de Bangui et leader de l’ex-rébellion de la Séléka, Michel Djotodia, a franchi un pas extrêmement important dans la reconnaissance de son pouvoir après sa tournée réussie dans les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).

Du Tchad d’Idriss Deby Itno, le parrain, au Congo de Denis Sassou Nguesso, médiateur de la crise centrafricaine, en passant par la Guinée équatoriale de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et le Gabon d’Ali Bongo Ondimba, le président de la transition en République centrafricaine (RCA) peut désormais se prévaloir des attributs de dirigeant fréquentable.

Presque deux mois après, les multiples condamnations qui avaient suivi la prise du pouvoir le 24 mars, au détriment de François Bozizé, de cet ancien fonctionnaire du ministère centrafricain des Affaires étrangères et ex-consul à Nyala ou Soudan apparaissent comme oubliées. De quoi à penser à une farce politique et diplomatique.

Comme le souligne fort à propos le politologue camerounais Firmin Mbala, à l’exception du Camerounais Paul Biya dont le régime se montre peu pressé de s’associer au carnaval communautaire, « la plupart des dirigeants (de la CEMAC, NDLR) qui l’ont reçu ont été plus ou moins partie prenante de son adoubement à la tête de la RCA, selon la formule bicéphale qu’on sait », avec un Premier ministre, Nicolas Tiangaye, doté des clés opérationnelles du pouvoir.

Par ricochet, l’objectif de la tournée régionale de présentation de Michel Djotodia la semaine dernière au Tchad, au Gabon et en Guinée équatoriale « est largement atteint », a noté l’universitaire à Xinhua. « Parrainé évidemment par le régime Deby, explique-t-il, Michel Djotodia est dans un scénario de civilianisation, c’est-à-dire qu’il se rend présentable aux yeux de la communauté si ce n’est internationale, du moins africaine ».

Replié à Yaoundé au Cameroun, le président déchu François Bozizé, lui-même tombeur d’Ange-Félix Patassé en 2003, a beau faire feu de tout bois par médias interposés en dehors des actions de coulisses pour appeler au secours pour son retour aux affaires, le constat impose plutôt de se conformer à la nouvelle donne, qui veut qu’une croix soit définitivement tirée sur l’ancien régime.

De l’avis de Mbala, « Djotodia comme Bozizé avant bénéficie de la prime de « democratising soldier », c’est-à-dire un homme capable d’assurer la stabilité sécuritaire de manière à ce qu’on passe ensuite à un régime civil dans un contexte pacifié ». Mais un bémol vient atténuer les ardeurs à cause du vide créé pour l’étape camerounaise dans la tournée de séduction de l’ex-chef rebelle.

« Il semble que, commente le politologue, il y ait un accord de principe avec Yaoundé, mais une date n’a pas encore été arrêtée. C’est une formule diplomatique qui laisse transparaître d’une part les réticences du régime camerounais à dérouler le tapis rouge au nouvel homme fort de Bangui, et d’autre part ce qu’on pourrait considérer comme l’agacement du régime de Bangui à voir se prolonger le séjour de François Bozizé au Cameroun. »

Dans ce pays, l’ex-chef d’Etat centrafricain « semble de surcroît bénéficier d’un ensemble de facilités pour le moins inattendues de la part du régime de Yaoundé ».

Cette attitude du pouvoir camerounais se perçoit comme une réaction à « la crainte du rôle grandissant du gendarme régional qu’est en train d’occuper le Tchad, plus précisément Deby ». Sans oublier qu’au plan purement interne, du point de vue sécuritaire, « depuis l’installation de la Séléka au pouvoir se sont multipliés des incidents sécuritaires à la frontière avec le Cameroun ».

A l’instar des échanges de tirs nourris entre les forces camerounaises et centrafricaines, certains des incidents évoqués ont été violents. A ce jour, un policier camerounais reste détenu par les rebelles Séléka.

Cette situation sécuritaire, croit savoir Firmin Mbala, enseignant à l’Université catholique d’Afrique centrale (UCAC) à Yaoundé, a probablement penché en faveur d’un séjour prolongé de François Bozizé, qui avait pourtant vocation à s’établir de manière transitoire, au Cameroun. « Bozizé connaissant bien le terrain, il peut aider les autorités camerounaises à stabiliser la situation à la frontière ».

En plus de cette menace, le Cameroun est confronté à des flux relativement massifs de réfugiés centrafricains sur son sol et qui viennent grossir les rangs d’une communauté de plusieurs dizaines de milliers de personnes antérieurement installées à l’Est et au Nord du pays. Cette présence est une source de préoccupation supplémentaire dans la mesure où certains réfugiés sont soupçonnés de détenir des armes.

En même temps, Michel Djotodia est soumis à l’obligation de convaincre les populations de son pays de sa capacité de rétablir la paix et la sécurité sur le territoire national afin de mettre un terme aux exactions (pillages, assassinats et viols) commises par ses hommes et d’autres groupes armés. Déjà, des voix s’élèvent pour attirer l’attention sur les risques d’une crise institutionnelle au sommet de l’Etat.

Depuis Paris en France où il est désormais établi après la disparition de son mentor en 2011 et suit de près l’évolution des événements en cours, Guy Kodégué, ex-porte-parole d’Ange-Félix Patassé, s’est inquiété dans un entretien téléphonique avec Xinhua de l’adoption par le CNT du principe de la motion de censure du gouvernement.

« Ce texte va à l’encontre des accords de Libreville. Juridiquement et politiquement, ça pose un problème pour une bonne régulation et un meilleur fonctionnement des institutions de transition », affirme Kodégué qui dénonce en outre les ambiguïtés de l’ordre protocolaire qui provoquent des disputes entre le Premier ministre et le président du CNT Alexandre Nguendet pour la place de deuxième personnalité du pouvoir.