YAOUNDE, 7 janvier (Xinhua) — Plus d’un mois après le dé ploiement officiel de l’opération française Sangaris le 5 décembre à Bangui suivie après par la Mission internationale de soutien à la Centrafricaine (MISCA), une force africaine, ce pays pauvre et enclavé d’Afrique centrale continue d’être secoué par la violence, soit le constat d’une impasse qui apparemment n’avait pas été envisagée pour cette mission.

Reclus au camp de Roux qui abrite le siège de l’état-major de l’armée nationale dans la capitale, le président de la transition, l’ex-chef rebelle Michel Djotodia, vit certainement sous pression et désemparé, tant son pouvoir acquis par les armes il y a bientôt un an n’a guère de valeur que symbolique.

Prise dans l’étau du bourbier centrafricain que vraisemblablement elle n’avait pas imaginé comme une mission plus périlleuse que l’intervention au Mali pour ses troupes de l’opé ration Sangaris, la France, ex-puissance coloniale, suggère ouvertement la mise à l’écart du tombeur de François Bozizé, le dé signant comme le principal responsable de la dégradation continue du climat sécuritaire et humanitaire.

Déchirée par les violences commises par les ex-rebelles de la Séléka (au pouvoir) d’une part et les milices anti-Balakas (anti- machettes) jugées fidèles à l’ancien régime d’autre part, la Centrafrique est devenue une sorte de zone de non-droit pour ses quelque 5 millions d’habitants dont un millier d’entre eux a été tué au cours du seul mois de décembre, selon les estimations des Nations Unies.

Sur près d’un million de déplacés, environ 100.000 s’entassent dans des camps de fortune sur le site de l’aéroport international de Bangui M’Poko sous protection des forces françaises, à en croire une autre estimation.

Du Cameroun au Nigeria, en passant par le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou encore le Tchad (dont les ressortissants pour la plupart musulmans sont devenus l’objet de règlements de comptes de la part des miliciens chrétiens anti-Balakas suite à des accusations de collusion du contingent tchadien de la MISCA avec les ex-Séléka), le pays se vide de ses résidents étrangers africains.

Ex-porte-parole militaire de la coalition Séléka aujourd’hui commandant de la gendarmerie mobile centrafricaine, le colonel Christian Narkoyo, musulman originaire comme Djotodia du Nord du pays, juge la situation « choquante » et « malheureuse ». « C’est triste de voir partir comme ça des gens qui sont installés depuis des décennies. On ne sait avec qui vivre », a-t-il souligné dans un entretien téléphonique à Xinhua à Bangui.

Interdit de patrouilles avec ses 400 éléments déclarés, une mesure également imposée à la police depuis le 16 décembre dans la capitale à la demande des responsables militaires français, Narkoyo, ex-gendarme de deuxième classe ayant acquis ses galons de colonel dans la rébellion, continue d’accuser à son tour l’armée française d’avoir compliqué davantage les choses avec son dé sarmement forcé où les ex-Séléka se sont vus livrés à la vindicte populaire et les anti-Balakas « protégés ».

« C’est la France qui est en train d’envenimer la situation. Vraiment, je ne sais comment qualifier cela. Les Sangrais sont venus chasser les musulmans de Bangui. Ils montent les populations chrétiennes contre les musulmans. Ils les arment, les financent. Dans les provinces où il n’y a pas ces Sangaris, c’est calme. Leur mission principale est de venir protéger la population sans exception », affirme-t-il.

Une nouvelle réunion du Conseil de sécurité de l’ONU tenue lundi à New York s’est alarmée de cette aggravation de la crise centrafricaine où l’impuissance du pouvoir de Michel Djotodia a ét é établie depuis longtemps. Afin de sortir de l’enlisement, la France préconise l’envoi d’une mission de paix de l’organisation mondiale.

« Si la France ne change pas sa méthode (non favorable à ses yeux aux ex-Séléka, NDLR), la situation va continuer de se dé grader. Si les gens achetaient la nationalité, j’en achèterais une et m’en aller moi aussi », insiste le colonel Narkoyo qui juge cependant inopportun l’envoi de Casques bleus. Car selon lui, « qu’ est-ce qu’il y a de grave pour qu’on envoie les Casques bleus ? ».

Pour lui, « les Sangaris ont échoué. Nous demandons à la France d’aider les forces africaines financièrement et maté riellement. Qu’elle finance les 18 milliards de francs CFA (budgé tisés pour le fonctionnement de la MISCA, NDLR). Sans Sangaris, les forces africaines vont réussir ».

Géostratège chef du Centre de recherches et d’études politiques et stratégiques (CREPS) de l’Université de Yaoundé II au Cameroun, le Pr. Joseph Vincent Ntuda Ebodé, qui avait auparavant estimé que la réussite de la mission de Sangaris et de la MISCA nécessitait un affrontement direct avec les « forces de la guérilla », c’est-à-dire les ex-Séléka et anti-Balakas en même temps, recommande que les deux missions « passent sous administration onusienne ».

« Depuis vingt ans, on a essayé la force de l’Afrique centrale, ça n’a rien donné. Puis, les Français sont venus, ça ne donne toujours rien. La méthode qu’ils ont choisie n’est pas la bonne. On ne désarme pas avec les armes de guerre et on ne peut pas non plus se limiter dans les grands axes sans entrer dans les quartiers », note l’universitaire.

Le premier en Centrafrique à tirer la sonnette d’alarme dès juillet 2012 sur l’ampleur de la crise, l’archevêque de Bangui, Mgr. Dieudonné Nzapalainga, plaide lui aussi pour la « transformation de la MISCA et de Sangaris en force onusienne ». Puisque, relève pour sa part l’homme d’Eglise, « en quelques semaines, nous avons vu les limites, parce que les Centrafricains n’ont pas adhéré » et que par ailleurs « l’Etat a fait faillite ».

Mais contrairement aux allégations du camp présidentiel, Mgr. Nzapalainga se félicite de l’action de la force française qui, affirme-t-il, « est venue sauver ce qui devait être pire, les massacres. Au début, on pensait que c’est une force partiale. Avec le temps, on s’est rendu compte que c’est une force d’ interposition ».

« Rien ne se fera sans la contribution des Centrafricains, qu’ ils soient convaincus surtout de la paix, qu’ils tournent le dos à la violence », avise-t-il cependant dans un appel à un sursaut patriotique national. « Il est temps d’enterrer la hache de guerre, d’aller vers un consensus national ».

Il insiste surtout sur l’engagement « responsable » des acteurs politiques, lesquels se font discrets, bottant sans cesse en touche les sollicitations des journalistes sous prétexte d’être occupés, et s’emploient au contraire à se concentrer sur la pré paration des prochaines élections présidentielle et législatives que le président français François Hollande souhaite voir se tenir cette année.