L’orchestre Africa Mélodie s’apprête à célébrer son cinquantenaire (28 novembre 1974-28 novembre 2024) à N’Djaména. Tchomba Tchadien alias Biani Hassane, le benjamin de cet orchestre et seul membre fondateur en vie, revient sur les premiers pas d’Africa Mélodie, ses succès et difficultés, à quelques semaines ( courant février) de la célébration en différé de ce cinquantenaire.
Comment est né l’orchestre Africa Mélodie ?
C’est une longue histoire. Ngarta Tombalbaye a fait partir les éléments de Chari Jazz à l’initiation. Or, certains étaient déjà allés à l’initiation et sont restés à N’Djaména à l’image de Ramadjingué et Djimet. Comme l’orchestre n’était pas au complet, ils ne pouvaient pas organiser un concert. On était des jeunes du quartier. Sachant quelques notions en musique, ils nous ont demandé de boucher le trou. On les a rejoints. Un jour, un monsieur est arrivé avec Copax, leader centrafricain de l’orchestre Keby Succès de Bongor. Il y avait un problème de leadership et l’orchestre s’est éclaté. Ils sont tous venus à N’Djaména. Certains ont créé Eco Tchad au bar Etoile. Copax a préféré voir Djibrine Terab, qui deviendra notre financier d’Africa Melodie, pour lui demander de soutenir un orchestre qu’il veut créer. Djibrine a mis les moyens. Lors d’un concert, Copax a fait son arrivée et a expliqué le projet à Ramadjingué. L’accord trouvé, Ramadjingué était chargé de sélectionner des talents.
Entretemps, une bonne partie des membres de Chari Jazz était toujours à l’initiation. Africa Mélodie est donc créé et comprenait 8 cadres. Djibrine nous a aménagé un cadre chez lui. Avec le peu de matériels qu’il a achetés au départ, on travaillait. Il s’occupait de la restauration, des déplacements et tout ce qui va avec l’entretien de l’orchestre. Quand il s’est rendu au Zaïre pour ses affaires, il nous a demandé de ne pas lancer officiellement l’orchestre. Mais, à un certain moment, il y avait une pression du public. On était obligé de le lancer lors d’un concert le 28 novembre 1974 au bar La Concorde de Moursal. Djibrine n’était pas d’accord mais nous a toujours accompagnés. On avait même un salaire. Ce qu’il a fait, personne ne peut le faire aujourd’hui. 40.000 F.CFA/mois à l’époque, ce n’est pas rien.
Quels ont été les moments de gloire d’Africa Mélodie ?
Africa melodie a commencé à briller dès son entrée sur la scène musicale avec les titres comme Dounia, Mariam, Aziza, Masra, etc. On avait le soutien du président Ngarta. Malheureusement, on n’a pas eu la chance d’aller nous faire former au Zaïre comme Chari Jazz, qui a bénéficié d’une bourse et de matériels. Heureusement pour nous, nos encadreurs qui étaient à Chari Jazz ont bénéficié de cette formation. Un jour, un Afghan nous a demandé de venir jouer dans son bar, Castello. On y jouait mardi, jeudi, samedi et dimanche.
Le succès n’avait pas trop duré à cause d’abord du coup d’Etat du 13 avril 1975 puis la guerre civile de 1979. Il faut rappeler qu’avant ce coup d’Etat, tous les concerts à la présidence nous revenaient de droit. Début avril 1975, on était pré-positionné à Gounou-Gaya pour l’arrivée de Ngarta pour la fête du coton. Tout était préparé. Il devait arriver le 13 avril. Mais, le coup d’État est arrivé. Notre financeur avait aussi connu des grandes difficultés. Ses affaires ne marchaient plus bien. Il y avait aussi un problème de gestion au niveau de l’orchestre. Nos leaders n’ont pas su gérer les moyens qu’on recevait. Et nos matériels tombaient en panne. Après la guerre civile, chacun est allé de son côté. On a essayé de se reconstituer à plusieurs reprises, sans succès. Une partie du groupe a suivi Copax au Nigeria. Ils ne sont plus revenus.
Comment sera célébré le cinquantenaire ?
On a mis sur pied un comité d’organisation. Sur une semaine au centre culturel Talino Manu, il y aura des stands, des concerts, etc.
Peut-on espérer qu’Africa Mélodie repartira sur de nouvelles bases ?
Je suis sur ça. Avec mon âge, il ne reste pas beaucoup d’années à vivre. Je travaille avec des jeunes. Je leur donne des exemples comme Renaissance FC, qui n’est pas mort avec ses fondateurs. J’ai remixé des anciens morceaux. J’en ai fait un album de neuf titres. Je le mettrai sur le marché pendant la célébration du cinquantenaire. Je cherche des moyens pour réunir toutes les réalisations d’Africa Melodie et les mettre dans un coffret et garder au niveau du musée.
Actuellement, il y a des gens qui modifient à leur façon nos titres, sans me contacter. On était 8 membres fondateurs (Ramadjingué, Copax, Pierrot, Demon, Vampire, Bernard, Réné Madou et moi). Ils sont tous morts. J’avais 19 ans. Aujourd’hui, il ne reste que le patron Djibrine et moi.
Comment apprécier le travail qu’abat la nouvelle génération ?
Ils ont plus de facilités que nous. Avec l’évolution de la technologie, ils composent facilement des morceaux. Et il y a une multitude de genres. Nous, nous travaillions sous pression familiale. Les parents ne voulaient pas que nous fassions de la musique parce qu’ils estimaient que les musiciens sont des ratés. A l’époque, pour aller à la radio, il fallait se déplacer avec tous les matériels pour jouer en live.
Pourquoi il est toujours difficile de vivre de la musique au Tchad ?
La musique, c’est toute une chaine : les producteurs, les managers, les auteurs-compositeurs, etc. Or, au pays, l’artiste fait presque tout, avec peu de moyens. Ailleurs, dès que tu es bon, il y a des gens derrière toi pour te pousser. Même pour les droits d’auteur, on nous paye des trucs misérables. Il faut qu’on soit solidaire et organisé.