La marche que projettent quelques membres de la société civile avec le soutien de certains chefs de partis politiques dans la journée du 06 février est strictement interdite sur toute l’étendue du territoire national. C’est la réponse, somme toute formelle, du ministre de la Sécurité publique, Ahmat Mahamat Bachir, qui prévient les éventuels contrevenants des risques de sanctions prévues par les lois en vigueur. Si certains initiateurs de cette marche ont compris et décidé de se soumettre à la décision de l’autorité compétente pour préserver le calme et privilégier le dialogue, quelques réfractaires entendent défier l’autorité. Invoquant le droit de manifester qui, selon eux, fait partie des droits inaliénables. Mais qu’en est-il en réalité de ce droit de manifestation lorsque, de façon prévisible, son exercice peut donner lieu à des débordements, des abus et atteintes de tout genre ?

A la question de savoir si le ministre de la Sécurité publique est en droit d’interdire la marche de demain, les juristes donnent une réponse unanime : cette interdiction est légale. Elle est d’autant plus légale lorsqu’on la décortique sous l’angle juridique politique, économique ou social.

En effet, la Constitution tchadienne stipule dans son article 27 que « Les libertés d’opinion et d’expression, de communication, de conscience, de religion, de presse, d’association, de réunion, de circulation, de manifestation et de cortèges sont garanties à tous ». Il s’agit là, en réalité, de l’énonciation non exhaustive des droits fondamentaux dont l’exercice peut être soumis à des restrictions comme il est énoncé à l’alinéa 1 du même article : « Elles (les libertés susmentionnées) ne peuvent être limitées que par le respect des libertés et droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarder l’ordre public et les bonnes mœurs ». Au regard de ces dispositions, il apparait aisé de juger que les mouvements de mécontentement que quelques citoyens voudraient exprimer entrent tout droit dans le champ des restrictions prévues par la loi.

Ce n’est pas fortuit que le législateur a prévu que les grandes libertés reconnues à tous les citoyens puissent être exercées dans le cadre strict de la seule loi. Cela dit, cette restriction qui apparait, quoique comme une solution extrême, se justifie dès lors qu’il existe des risques sérieux d’atteinte à l’ordre public. Avec bien entendu, un potentiel danger pour les personnes et pour les biens. Et ce, dans toutes les villes. Dans tous les pays démocratiques comme le nôtre où le droit de manifester existe, il est toujours prévu des limitations qui sont permises sous deux conditions : un réel danger de troubles graves ou si les mots d’ordre de manifestation sont contraires à la loi. En l’espèce, c’est à bon droit que les autorités ont pris toutes leurs responsabilités pour interdire une manifestation qui pourrait, sans nul doute, porter de graves atteintes à l’ordre public. Il est un fait rarissime qu’une manifestation qui a lieu dans nos villes ne puisse se faire sans qu’on ait à regretter des conséquences fâcheuses. Qu’il s’agisse des pertes en vies humaines, de la destruction des biens des particuliers ou de l’État. Le 22 janvier, on a vu quelques individus profiter de la grève des transporteurs pour commettre d’intolérables actes de vandalisme. Le bilan déclaré par la police le soir même faisait état de 143 arrestations (dont 64 élèves). Sur les dix véhicules détruits, 6 appartiennent à des particuliers. En se basant sur cet exemple édifiant et sur des cas antérieurs, on peut logiquement craindre que des individus qui s’en prennent aux biens de leurs semblables sans aucun motif, au pire, à leurs propres personnes, puissent faire pire.  L’interdiction d’une manifestation qui porte ostentatoirement les germes de débordements est, dans ces conditions, plutôt salutaire et à applaudir. Car il est essentiellement question de protéger les personnes et leurs biens dont le rôle politique et régalien revient à l’État. En plus, ceux qui appellent à la marche incitent le plus souvent des enfants, pour la plupart des élèves, à se compromettre avec la loi pendant qu’eux se mettent à l’abri. Nous sommes dans un pays où les menaces terroristes ne sont pas totalement écartées. Accepter qu’une manifestation puisse avoir lieu en cette période serait constitutif d’un gros laxisme de la part de l’Etat et cela pourrait ouvrir la porte à des actes de terrorisme. Et les Tchadiens qui restent traumatisés par les images des chairs humaines jonchant le sol suite aux attentats de 2015 ne sont pas prêts à revivre de tels événements. Quel parent voudrait sacrifier son nom pour une cause qui peut être résolue par le dialogue ? Quels commerçants, quels hommes d’affaires accepteraient-il de perdre tout une journée, voire plusieurs jours, en se rangeant du côté des opportunistes animés des intentions inavouées ? Pourquoi enfin envisager des solutions extrêmes pendant que les agents de l’État, qui sont concernés au premier chef de ces revendications sociales, se disent ouverts au dialogue ?

Pour réussir une marche pacifique comme l’appellent ces organisateurs, il faudrait le faire en se regroupant sous une plateforme connue et crédible. Ce qui n’est pas le cas présentement. Selon ce qu’on en sait, ce sont des personnes se réclamant de la société civile et des partis politiques qui ont décidé, sans organisation sérieuse ni sans avoir le soutien de la population, de programmer cette marche. Sommes-nous dans un État de nature ou dans un État de droit ? Une marche disparate ne remplissant aucunement les conditions posées par la loi mérite une interdiction formelle. Sans parler du fait que son encadrement devrait couter plusieurs millions au Trésor public à un moment où on en a besoin pour faire face à plusieurs charges régaliennes. En plus, la loi donne la possibilité aux initiateurs de la marche de saisir la justice pour contester la décision d’interdiction devant un tribunal administratif. L’ont-ils fait pour montrer leur attitude respectueuse de l’ordre et de la loi ? La réponse est encore non.

Les Tchadiens restent convaincus que cette crise pourrait bientôt trouver une issue heureuse, que ce soit par la volonté des parties en discussion ou par le seul engagement du gouvernement qui n’a d’ailleurs aucun intérêt à laisser paralyser les services publics pendant longtemps.

Ahmat Mahamat Nour