Il a fait de son pays le deuxième exportateur mondial de gomme arabique. À 85 ans, l’ancien ministre et actuel patron de la Société commerciale du Chari et du Logone, Abdoulaye Djonouma, se bat pour une industrialisation de la filière.

Sur la table basse du grand salon qui lui sert de bureau depuis qu’il a décidé de se retirer peu à peu des affaires, des parapheurs, des sachets contenant différentes variétés de gomme arabique, des documents de projets dont quelques-uns lui tiennent particulièrement à coeur… Même s’il a pris du recul, Abdoulaye Djonouma, le directeur général de la Société commerciale du Chari et du Logone (SCCL), garde une vision pointue des besoins de l’entreprise. “Il nous faut absolument un atomiseur : cette machine nous permettra de réduire la gomme en poudre propre, et nous pourrons ainsi accroître nos marges et créer davantage d’emplois”, explique-t-il. Assis à côté du vieil homme, Youssouf, son assistant chargé des affaires courantes, acquiesce et glisse par moments de petites notes à son patron.

Équation

À 85 ans, Abdoulaye Djonouma se fait de plus en plus rare au siège de la SCCL. Mais en cette fin de campagne d’expédition des commandes, on a cependant pu le voir, comme à l’accoutumée, surveiller les trieuses remplir les derniers sacs de gomme crachés par les calibreuses. Cette année, les commandes sont estimées à un peu moins de 20 000 tonnes pour l’ensemble des huit exportateurs qui se partagent le marché de la gomme arabique au Tchad, dont 3 000 t pour la SCCL. “C’est une année moyenne, et cela nous interpelle sur la nécessité de transformer la gomme sur place en respectant les exigences de qualité”, indique le directeur général.

Pour y arriver, il faudra non seulement mobiliser le financement nécessaire à l’installation d’unités de transformation, mais aussi régler la question de l’électricité, qui n’est pas garantie par la Société nationale d’électricité (SNE). La résolution de cette équation sera sans doute la dernière bataille de celui qui, en trente ans, a réussi à développer la première entreprise d’exportation de gomme arabique du pays. La SCCL, c’est aujourd’hui un réseau d’environ 500 000 travailleurs (dont plus de 300 emplois directs) et un portefeuille clients qui compte quelques marques prestigieuses : l’américain Coca-Cola, l’entreprise pharmaceutique française Upsa…

Cosmétiques

C’est à la fin des années 1970 qu’Abdoulaye Djonouma, haut fonctionnaire issu de la même promotion (1960) que l’ancien président sénégalais Abdou Diouf à l’École nationale de la France d’outre-mer (Enfom, aujourd’hui intégrée à l’ENA), décide de s’installer à son compte, après avoir connu une brillante carrière dans l’administration publique – il fut plusieurs fois ministre (Aménagement du territoire, Travaux publics, Mines et Lutte contre la sécheresse) et directeur de sociétés d’État.

À ce moment-là, au Tchad, très peu de gens connaissent l’importance de la gomme arabique, un produit qui entre dans la fabrication des sodas et des cosmétiques. Mais un événement va mettre la puce à l’oreille d’Abdoulaye Djonouma. Lorsque le Fonds de développement et d’action rurale (FDAR) et la Société nationale de commerce du Tchad (Sonacot), des organismes publics pour lesquels il travaille, répondent à d’importantes commandes de gomme arabique, il flaire le bon coup. Il démissionne de la fonction publique et, en 1978, crée la SCCL.

Aura

Les débuts sont difficiles. L’aura et la personnalité d’Abdoulaye Djonouma ne suffisent pas à convaincre les banquiers auprès de qui il tente de contracter un prêt pour lancer l’activité – laquelle ne démarrera réellement qu’en 1983. “C’est au vu des commandes que j’avais déjà reçues que certains ont finalement accepté de soutenir la SCCL”, se souvient l’octogénaire. La filière se met alors en place, tout doucement. Il faut trouver des collecteurs pour parcourir les marchés le long de la bande sahélienne qui traverse le Tchad d’est en ouest, afin d’acheter 20 kg ici, 50 kg là…

“Ce sont ces collecteurs qui remontaient la gomme jusqu’à nous. Puis, au fil des années, il a fallu descendre sur le terrain pour accompagner les paysans et leur montrer comment saigner le tronc de l’acacia pour faire couler la gomme”, explique Abdoulaye Djonouma. Les populations rurales découvrent alors l’intérêt économique des épineux qui parsèment la brousse, et des conflits pour le contrôle des plants apparaissent. Il faut organiser les paysans en groupements par village. À travers tout le Tchad, on en compte aujourd’hui environ 70, de 25 à 30 membres chacun.

Faiblesse

Plus de trente ans après le début de l’aventure, les affaires marchent pour la SCCL, dont les revenus annuels atteignent environ 2 milliards de F CFA (environ 3 millions d’euros). Mais la marge bénéficiaire de la gomme à l’export reste faible, grevée qu’elle est par le coût du transport – par camion puis en train – jusqu’au port de Douala, direction la France et les États-Unis. C’est là la principale faiblesse de la gomme tchadienne vis-à-vis du grand concurrent soudanais, premier exportateur mondial qui, avec Port-Soudan, a un accès direct à la mer pour ses exportations.

L’absence d’unités de transformation est un autre handicap. Vendue à peine 1 dollar le kilo, la gomme dure pourrait rapporter dix fois plus si elle était réduite en poudre sur place. Un argument qui renforce la volonté d’Abdoulaye Djonouma d’industrialiser la filière. Mais, encore une fois, “les crédits accordés par les banques sont trop faibles pour envisager un véritable développement de l’activité, qui a pourtant un potentiel important”, déplore le patron de la SCCL. En attendant, il souligne que la gomme tchadienne conserve un avantage sur celle des autres producteurs : elle est 100 % bio.

PAR MADJIASRA NAKO, À N’DJAMENA

Source: economie.jeuneafrique.com