En dix ans, entre 2002 et 2012, l’Afrique centrale a perdu près des trois quarts de sa population des éléphants de forêt à cause du braconnage, estime le Fonds mondial pour la nature (WWF) qui dénonce un “crime” organisé d’une ampleur effroyable et appelle à la mobilisation de la communauté internationale pour soutenir les actions de lutte menées par les pays.

Selon Marc Languy, le directeur du WWF pour l’Afrique centrale, ce massacre représente concrètement environ “65% des éléphants de forêt” de cette région qui abrite le Bassin du Congo, le deuxième plus grand massif forestier du monde derrière l’Amazonie, en Amérique latine.

“Bien sûr que c’est un crime”, a-t-il fustigé dans un entretien à Xinhua en marge d’une cérémonie publique organisée par le gouvernement camerounais mardi à Yaoundé pour la destruction d’un stock d’ivoire illégal estimé à 3,5 tonnes de défenses d’éléphants (2.000 pointes) et 2,6 tonnes d’objets d’art (1.753 pièces) produits sur la base de cette ressource.

Cet événement est le résultat des efforts menés par les pouvoirs publics camerounais et de plusieurs années de campagne et d’interpellation entreprise par WWF et l’ONG Traffic pour la surveillance du commerce des espèces sauvages et une meilleure gestion des stocks d’ivoire du pays, a souligné M. Languy.

“C’est avant tout un symbole, a-t-il déclaré. C’est un message adressé à l’endroit des braconniers, des trafiquants et des consommateurs d’ivoire illégal pour dire que l’ivoire n’a de valeur que sur les éléphants”.

Le Cameroun est un des pays où la préservation des espèces sauvages est fragilisée par les trafics illicites.

Selon les estimations du WWF, au moins 150 éléphants ont été tués chaque année dans ce pays depuis 2012, année où un nombre record d’environ 400 de ces mammifères avaient été massacrés par les braconniers d’origine soudanaise au parc naturel de Boubandjidah (Extrême-Nord), d’après les résultats révélés par des rapports d’enquêtes indépendantes.

Le dernier recensement établi en 2010 par le gouvernement camerounais avait estimé à 21.000 têtes la population d’éléphants du pays. Sans fournir de précisions, le ministère des Forêts et de la Faune admet toutefois que “le braconnage grandissant et les massacres de 2012 notamment ont considérablement réduit cette population”.

Marc Languy qualifie cette menace de “désastre écologique et économique concernant des espèces qui sont importantes pour maintenir la forêt”.

Cette activité, qui touche un nombre important de pays en Afrique, fait généralement intervenir des réseaux de braconniers lourdement équipés, qui se révèlent par conséquent difficiles à combattre pour les unités gouvernementales de protection des parcs naturels, peu fournies en moyens de lutte.

Par exemple, “nous avons eu à déplorer en moins de quatre ans la mort de trois écogardes, de quatre gardes de chasse villageois et d’un guide de chasse, tous abattus par des braconniers, sans compter de nombreux blessés”, a rapporté le ministre des Forêts et de la Faune, Ngole Philip Ngwese.

“Dans cet élan de folie, a-t-il ajouté, quatre campements de chasse, un centre de recherche d’écotourisme, cinq miradors, un véhicule tout terrain et plusieurs engins à deux roues ont été entièrement détruits par les braconniers”.

Pour le ministre, les défis à relever sont importants, car le Cameroun partage les frontières avec six pays : le Nigeria, le Tchad, le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Guinée équatoriale et la République centrafricaine (RCA).

La moitié de ces pays est confrontée à des crises sécuritaires, dont notamment la menace émanant du groupe terroriste nigérian Boko Haram.

20,2% du territoire national est placé sous aménagement d’aires protégées, soit un peu plus de 9,5 millions d’hectares, a précisé M. Ngole Philip Ngwese.

“Nous avons l’espoir de pouvoir garder ces espaces sous surveillance de manière permanente”, a-t-il souhaité.

Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de redoubler d’efforts pour la lutte contre le braconnage. Or, le constat montre que l’expansion de cette activité illicite bénéficie de complicités de décideurs politiques, de responsables de l’armée et même d’ONG, déplore Marc Languy.

D’où l’impératif de mise en place d’une justice sans complaisance, qui impose des “sanctions à la hauteur du crime commis”. “S’il n’y a plus de demande [d’ivoire illégal], il n’y aura plus de braconniers. C’est une question de conscientisation. Ça va prendre des années, on en est conscient”, prône le responsable régional de WWF.

Depuis 2012, le gouvernement camerounais a adopté un plan d’urgence pour la sécurisation des aires protégées, d’une valeur de 125 milliards de francs CFA (250 millions de dollars).

Il a aussi conclu des accords de coopération avec des pays voisins. “Il est plus que temps pour que ces accords prennent effectivement effet au quotidien”, plaide le ministre des Forêts et de la Faune.
Xinhua